Cela faisait maintenant peu de jours que Théodore Bagwell s'était officiellement évadé de la prison de Central. L'affaire faisait du bruit au sein de la police et de l'Armée mais il en fallait plus pour affoler le meurtrier. On l'avait déjà trahi une fois, cela ne se reproduira plus désormais. T-Bag avait réussi à troquer un épais pull à capuche qu'il avait enfilé par-dessus son haut blanc et avait trouvé quartiers libres dans les ruelles les plus mal fréquentées de la capitale. En ce moment même, il était dans un bar, l' Ornythorinque hurlant, un bar réputé pour le nombre important de mafieux, de repris de justice et de filles de joie qui se rassemblaient au sein de cette petite pièce enfumée et aux odeurs suspectes. Cet établissement lui rappelait un autre, similaire dans une région un peu plus éloignée. Mais tout cela n'était que souvenirs. Pour l'instant, il était attablé avec un chef de gang, et un mafieux d'Aerugo dans une rude partie de poker. Ou du moins, ils attendaient leur tour, debout autour de la table occupée et réservée à cet effet. Enfin, les 3 autres hommes patientaient, T-Bag, lui, cherchait un moyen de leur faire perdre tout leur argent. Car personne comme lui ne maniait les cartes comme il le faisait. Mais, il se rendait bien compte que, s'il gagnait à chaque fois qu'il distribuait, ce serait louche. Ainsi, il était à la recherche silencieuse d'un complice.

Ses yeux rougis à demi dissimulés sous sa capuche faisaient le tour de la pièce mais pour le moment, aucun client du bar ne l'intéressait . . .

La partie prenait fin. Les hommes qui jouaient jusque là s'agitaient de plus en plus. Finalement, après quelques altercations, ils décidèrent de régler leurs comptes plus tard. Le mafieux et le truand semblaient s'intéresser pour une raison inconnue à leur petite dispute. T-Bag, lui, regardait ailleurs. Cette jeune fille qui venait d'entrer, là, assise dans le fond ? Elle avait l'air relativement facile à berner par son jeune âge. Elle paraissait suspicieuse et jetait quelques fois des coups d'oeil à la table de poker. Théodore se passa la langue sur les lèvres comme à son habitude et, les mains dans les poches, il se dirigea vers Ayame, d'une démarche exagérée.
S'adossant au mur près de la table, il désigna la jeune fille du menton et demanda d'une voix douceureuse :

-"Dis-moi fillette, ça te dirait de t'associer à moi pour une partie de poker ?"

Il se pencha en avant et lui murmura à l'oreille, se mordant par moment les lèvres :

-"Vois-tu, les hommes là-bas, il les désigna d'un léger signe de tête, ils ne méritent pas tout ce fric qui gonfle leur poche. Mais toi ... tu as l'air plus perspicace ..."

Sentant les regards menaçants et impatients des deux autres types, il se redressa et se passa une main sur le menton.

-"Alors, qu'en dis-tu ?"

Même si cette jeune inconnue semblait perturbée par son comportement, T-Bag savait qu'elle allait accepter. Et il confirma ses pensées avec satisfaction lorsqu'il l'entendit lui répondre. Lorsqu'elle se leva, il lui murmura de nouveau à l'oreille :

-"Lorsque je donne, tu mises gros et surtout, tu ne te couches jamais, compris ?"

Il n'attendit pas de réponse, de toute façon, elle n'avait pas le choix. Le tueur en série et Ayame arrivèrent à la table et les autres joueurs se calmèrent de nouveau. Théodore s'installa et s'empara du paquet de cartes qu'il mélangea avec dextérité. Chaque mouvement de ses mains étaient teintés d'habitude et de vitesse, si bien qu'on n'aurait su dire ce qu'il faisait. L'un des brigands coupa le tas de cartes comme il était dû et T-Bag distribua. Evidement, tout cela n'était autre que de la triche puisqu'Ayame, au moment de prendre ses cartes, pouvait constater qu'elle n'avait autre qu'un 7 de coeur, un 8 de trèfle, un 9 de coeur, un 10 de carreaux et bien sûr, le valet qui va avec. Cela lui faisait ainsi une belle suite. Et ce, T-Bag le savait très bien puisque c'était lui qui s'était arrangé pour lui procurer ces cartes. Maintenant, c'était à elle de jouer et de les faire tous coucher ...

La partie suivit son cours. Et, bien évidemment, à chaque fois que T-Bag distribuait, Ayame se retrouvait avec un jeu imparable. De l'alchimie ? Que nenni. Un as de la triche serait plus approprié comme surnom. Lors du dernier tour, alors qu'il mélangeait encore les cartes, il mima la surprise et l'agacement et déclara d'une voix fourbe :

-"Je crois que notre amie est plus douée que nous, n'est-ce pas ? La chance du débutant, mh ?"

En effet, devant la jeune fille, un épais tas de billets s'amoncelaient paresseusement sur la table. La remarque du criminel en fit qu'accentuer la colère des brigands qui perdaient tout leur argent. L'un d'eux, assis à droite de Théodore, s'empara d'une lame et se redressa, pointant l'arme de fortune vers la gorge de la demoiselle :

-"T'es qu'une sorcière, sale tricheuse ! J'vais trancher ton p'tit cou de piaffe !!"

Les autres hochèrent la tête en signe d'approbation, serrant les poings. Bagwell agita la main, pour calmer l'assemblée et tendit le bras en travers du voleur armé. Se passant la langue sur les lèvres, il dit d'un ton calme :

-"Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, l'ami. Vois-tu si cette jeune demoiselle tombe sans vie sur le sol, cela va attiser les videurs qui nous confisquerons l'argent. Et je pense que cette fois-ci, tu auras beaucoup plus de mal à le récupérer avec ton ... jouet."

Cela lui cloua le bec. A la fin de la partie, les perdants se tirèrent en vitesse; Ayame avait gagné. Le fugitif attendit que ses adversaires disparaissent pour de nouveau, lui adresser la parole.

-"Bien, tu vois quand tu veux ..." lui dit-il en ramassant les billets qu'il se mit à compter, gardant toute fois un oeil sur elle.

Théodore avait maintenant soigneusement rangé les billets dans une sacoche de cuir qu'il passa à son épaule. La jeune fille s'était précipitée dehors sans demander son reste. Mais T-Bag, lui, n'en avait pas fini avec elle. Pourquoi laisser s'échapper une poie si attrayante ? Elle n'était pas du genre à se laisser faire, cela se voyait sur son visage mais parfois, le comportement des femmes est très imprévisible. Et il en fallait plus pour le faire renoncer, aussi lâche soit-il. L'homme recherché par toutes les autorités remit sa capuche, dissimulant son regard de serpent dans l'ombre de l'épais tissu. Il jeta un regard circulaire autour de la table et sans un mot, s'empara discrètement du jeu de cartes qu'il enfouit dans l'ample poche du vêtement.

En sortant de l'établissement, grande fut sa surprise lorsqu'il discerna, non sans mal, la silhouette longiligne de sa partenaire de jeu. Apparemment, elle tenait en joue l'un des perdants, celui qui l'avait agressé pour être plus précis. Lorsque ses yeux furent habitués à l'obscurité naissante, Théodore se glissa tel un reptile derrière elle et siffla dans son oreille :

-"On ne t'a donc jamais appris la discrétion et la subtilité du crime en pleine ruelle de nuit ?"

Le timbre de sa voix était mielleux comme à son habitude. Son corps tout entier semblait gober Ayame qui ne devait pas comprendre ce qui lui arrivait. Ce spectacle lugubre faisait inconsciemment penser à celui d'un serpent, du genre de l'anaconda, qui s'enroule voluptueusement autour de son déjeuner avant de le dévorer tout cru ...

Je figeais sur place. Je ne l'avais pas vu arriver. Habituellement, j'aurais entendu quiconque se serait approcher de l'endroit. Il n'y avait personne dans la ruelle mis à part ma cible et moi il y avait quelques instant. C'est vrai, j'aurais dû être plus prudente. Quelle imbécile je fais ! Ma cible filait. Pour le moment, j'avais autre chose à faire on dirait bien. Je vais me faire trucider par mon oncle ce soir... mais bon, c'est soit lui, soit ce malade.

Je m'éloignais vivement et levais mon arme en sa direction, visant la tête. Je ne permettrais pas qu'il s'approche de moi. Je pensais bien mettre débarrasser de lui après cette partie de poker, mais on dirait bien qu'il avait autre chose derrière la tête. J'aurais dû me méfier aussi ! Je suis d'une telle naïveté parfois ! Moi qui pensais que ce serais simple de me débarrasser de cette tâche et de retourner me reposer chez moi, je me trompais. La preuve qu'il ne faut jamais baisser sa garde...

-La partie est terminée, tu as eu ton argent. Qu'est-ce que tu me veux encore ? dis-je d'une voix ferme, lançant un regard noir à l'individu.

La discernant pointer le canon menaçant de son arme vers sa tête, T-Bag fit quelques pas en arrière, agitant les mains, le même sourire énigmatique accroché aux lèvres.

-"Ne nous emballons pas, ma jolie ... Ce serait dommage d'abîmer un visage aussi charmant ..."

Ses mots se perdaient en faibles échos sur les murs souillés de la ruelle. Ils s'élevaient, imposants, encerclant quasiment de toutes parts les deux personnages, pour le malheur de l'un et l'amusement de l'autre. Car, pour Théodore, tout ceci n'était qu'une sorte de jeu. Il avait besoin de se distraire et avait jeté son dévolu sur cette demoiselle qui n'avait, apparemment, pas l'intention de se laisser faire ... Mais il fallait plus qu'un revolver pour faire renoncer le criminel dont le visage crispé était tapi dans l'obscurité. Seules ses dents étrangement blanches se reflétaient dans la pâle lumière emplie de poussière. Le vicieux prédateur fit un, puis deux pas vers la jeune fille. Une nouvelle partie commençait. Et il comptait bien avoir le dernier mot ...

De toute façon, qui aurait pu venir en aide à la jeune fille ? Elle avait eu le cran de s'aventurer seule dans les pires quartiers de Central. Elle avait donc conscience des gens qu'elle pouvait croiser sur les pavés humides de ces lieux. Des meurtriers ... des brigands ... des voleurs ... des hommes prêts à tout pour montrer au monde leur secret, d'autres, prêts à tout pour les lui cacher. D'autres encore qui avaient un but, et ceux comme lui, qui voulaient juste s'amuser ...

-"Allons ... Ne me dis pas que tu as peur de moi ?"

La jeune fille avait raffermi sa prise sur l’arme à feu et visait de nouveau avec une impressionnante précision le milieu de son front. Une nouvelle fois, il agita les mains, comme pour chasser les mauvaises intentions qu’Ayame lui reprochait. Elle se disait méfiante et elle avait tout à fait raison. Si vous vous retrouviez en face d’un assassin, c’est le meilleur comportement à adopter, si vous ne vous êtes pas encore enfui. Mais la jeune fille blonde avait du cran, ça c’était sûr, T-Bag ne l’ignorait plus à présent. Elle ne ressemblait pas à celles qui avaient jadis croisées sa route.

-« Tu sais, toi, tu n’es pas comme les autres. En fait, j’ai eu à plusieurs reprises eu affaire à des filles de ton âge ... Oui, à la fleur de l’âge ... Sauf qu’elles, lorsque je me trouvais près d’elles, elles ne brandissaient pas de revolver dans ma direction ... Nan, elles pleuraient toutes les larmes qui leur restaient ... C’était un spectacle pitoyable ... Je crois que j’ai bien fait de les tuer au final ... Oui, elles ne méritaient plus de vivre ... Les garçons, eux, je trouvais déjà ça plus amusant lorsqu’ils appelaient leurs parents au secours ... Hihihi ... »

En racontant ces atrocités, Théodore avait pris soin de parler bas mais clairement, articulant bien chaque mot et jouant avec ses mains. Il s’approchait très lentement de la jeune fille, assuré qu’elle ne voulait pas le tuer. Du moins, pas pour l’instant. Ce spectacle était terrifiant à voir. On avait droit en ce moment-même, au véritable visage de Bagwell ... Et encore, la partie ne faisait que commencer ... Il en comptait pas s’arrêter là . . .

Unique en son genre ? Oui, fort heureusement d’ailleurs. Théodore faisait partie des spécimens dangereux de la criminalité. Les autorités de la police qui avaient été affectés à son dossier étaient des gens hautement qualifiés mentalement, dans le sens où elles ne devaient pas se laisser abattre par la monstruosité de ses crimes. Certains ne dormaient plus de la nuit, veillant sans cesse sur leurs enfants enfouis paisiblement sous la couverture. Bagwell était un criminel notoire à Central, comme l’étaient Barry le boucher ou les deux frères qui avaient réduit leur famille à néant. Seulement, eux, avaient été arrêtés, et peu à peu, leur nom disparaîtrait de la mémoire des générations suivantes. Non, Théodore ne voulait pas qu’on l’oublie. De ce fait, il sévirait encore et encore, jusqu’à ce que la mort le prenne. A moins qu’elle n’arrive jamais. L’éternité. L’éternité à tuer et à se venger. Oui, c’était une idée plaisante.

Alors qu’il était perdu dans ses idées malsaines, il fit le point de la situation. Il n’était armé que d’un couteau. La jeune fille avait en sa possession un revolver. Etant donnée son apparence athlétique, elle devait être agile et rapide. Lui quels étaient ses atouts ? Aucun. Il n’était pas du genre à se battre. Il était de ceux qui reste en arrière pour envenimer la situation, aussi critique soit-elle. Mais là, il était bien seul face à elle. Donc, il fallait anticiper. L’anticipation. L’impulsion. L’instinct de tuer. Telles étaient les capacités de Théodore. Le combat commençait. Le jeu aussi.

-« On va jouer ... Au chat et à la souris ... » siffla-t-il entre ses dents.

Il enfila sa capuche et sortit discrètement son couteau de sous son manteau, tout en continuant de persiffler. Il avait pris l’habitude de beaucoup parler car, parfois, cela détournait l’attention de ses ennemis. Mais cette jeune fille avait l’air plus futée que les gens auxquels il avait été confronté jusque là ...

-« Et c’est moi le chat ! » s’écria-t-il en s’élançant dans sa direction.

Fight.