Une jeune fille avançait dans la rue.

Une magnifique jeune fille aux longs cheveux blonds, portant une robe longue près du corps. Elle arpentait la ville depuis un long moment déjà et semblait assez désespérée. Que cherchait-elle depuis des heures ainsi, interrogeant les habitants et en montrant une photographie à ces derniers, en affichant un visage de veuve éplorée ? Un père, un frère, un amant perdu à la guerre ? Quelques personnes heureusement lui donnaient des pistes dans sa poursuite acharnée de la vérité. Et à chaque fois, ses mêmes personnes qui connaissaient un tant soit peu l'homme en question sur la photo se montraient compatissants. Après tout, elle semblait ignorer qu'IL était un vrai goujat, ignoble et violent. Mais ils ne disaient rien. De peur de torturer encore plus cette enfant dont la quête était assez difficile comme ça.
"Espèces de vautours" pensait-elle. "Vous compatissez à mon égard, tout en vous réjouissant de ne pas être dans ma situation. Vous tirez votre bonheur du malheur des autres, n'est-ce pas ? C'est répugnant..."
Cette compassion, cette propension des humains à s'entraider, voila qui rendait notre femme malade. Comment peut-on ressentir du chagrin pour quelqu'un qu'on ne connait ni d'Eve, ni d'Adam ? Si cette recherche n'était pas aussi sérieuse, et si les vrais gouverneurs de ce pays tenaient à ce que cette mission soit réussie, Envy n'aurait pu cacher aux généreux informateurs sa véritable façon de penser. Mais il y avait des cas où, malheureusement, il fallait savoir contenir ses émotions.

Envy avait pris l'apparence d'une belle jeune femme pour une seule raison.
Sa cible s'appelait Sowerberry Thenard. Membre de l'armée, il était connu pour sa vulgarité, sa fourberie, son arrivisme et son bagout. Grâce à ces "talents", il avait eu vent du Plan concernant Amestris et avait pris le parti de faire chanter les Hauts responsables en menaçant de tout dévoiler à Roy Mustang. Et depuis il se cachait avec réussite dans le pays tout en recevant sa rançon grâce à un système de dépôt ingénieux. Seulement, le voila devenu de plus en plus gourmand, et donc de plus en plus dangereux. Les homonculus furent alors chargés de le faire taire.
Parmi les nombreux vices du maître Chanteur, un seul pouvait le perdre. Ce charmant monsieur était amateur de chair fraiche et courait la gueuse dès qu'il en avait le loisir. D'ailleurs, suivre les filles de joie avait été la piste la plus prolifique pour Envy. Et cela expliquait pourquoi il s'était transformé en femme la plus attirante possible.

L'homonculus rechignait à accomplir cette tâche d'investigation, surtout sous cette apparence. Si la majorité des gens avait pensé qu'il s'agissait d'une pauvre épouse à la recherche de son mari disparu, d'autres pensaient avoir affaire à ces filles de mauvaise vie. De la part des femmes, il ne recevait que du dédain. En revanche, avec les hommes, le résultat était différent. Envy avait eu droit au mépris, à la méfiance, à l'intérêt, et au rentre-dedans. Il avait dû accomplir un effort magistral pour ne pas envoyer valser les obsédés trois mètres plus loin, d'un seul coup de poing. Il avait tout de même brisé la main de l'un d'entre eux, mais c'était mérité.
Envy aurait préféré que Lust s'en occupe. Après tout, elle était la Luxure, non ? Elle était plus à même d'endosser ce rôle ? Mais Lust avait affaire ailleurs, dans un autre coin du pays. Heureusement qu'il y avait un meurtre à la clef, histoire de faire passer la pilule.

Envy arriva dans le quartier qu'on lui avait indiqué. Là où il aurait le plus de chance de rencontrer Sowerberry. Le quartier de la débauche, des bars à ivrognes et des bagarres au clair de lune. Et des filles. Envy se trouva un perchoir afin d'attendre sa cible ici. Les autres filles le regardaient avec hostilité. Encore une concurrente, devaient-elles penser.
"Comme si j'avais la moindre envie de vous prendre votre place, crétines !"
Le rôle de ses femmes dans la société échappait totalement à l'homonculus. Elles satisfaisaient les besoins bestiaux des hommes affamés pour de l'argent. Vendre leur corps. A des inconnus. Elles n'avaient vraiment aucune fierté. Et pourquoi les hommes les fréquentaient-elles ? Qu'est-ce que cet acte avait de si spécial pour que les êtres humains veuillent le faire si souvent ? C'était incompréhensible et dégoutant. Les humains, décidément, n'avaient rien à envier aux animaux.

La nuit commençait à tomber. La patience d'Envy atteignait ses limites. IL n'allait pas se montrer, ce soir. Dommage, l'homonculus pensait pourtant avoir une chance ici. Devait-il rester ici toute la nuit à attendre ? Bon sang, combien de temps ces femmes demeuraient ici tout ça pour... Bref... Envy se mit à bailler en ouvrant grand la bouche et en étirant les bras vers le haut. Vu le regard que lui adressèrent ses collègues d'un soir, ce ne devait pas être très élégant pour une demoiselle, même de petite vertu. C'est sûr que bailler aussi ouvertement qu'un hippopotame ne devait être séduisant.
Bah, au moins, Envy n'était pas le seul à s'ennuyer ferme. Autour de lui, peu d'élues. Pour ne pas dire aucune : le chaland se faisait discret. Il fallait encore patienter pour voir arriver le premier client de la soirée. L'homonculus se mit à sourire. Un sourire qu'il se hâta de cacher pour conserver son rôle de jeune courtisane. Les sourires démentiels ne sont pas du plus bel effet en règle générale...juste effrayants.

Môssieur Thenard avait finalement osé mettre le nez dehors. On ne pouvait résister à ces besoins, pas vrai ? Il examina attentivement les filles présentes. La scène était véritablement comique, digne d'un poulailler. Un coq montrait son nez, et les poules caquetaient pour se faire remarquer. Ridicule. Œillade, position aguichante, voix suave, tout était bon pour attirer l'attention. Certaines se montraient tellement vulgaires !
Sowerberry s'arrêta devant l'une d'elle, moins provocatrice, plus discrète. Envy sentit un sentiment de colère monter en lui. Comment avait-il pu s'arrêter devant une fille aussi commune et quelconque que cette gamine aux cheveux châtains ? Elle n'avait rien de particulier, rien qui puisse plaire ! L'Homonculus avait créé le piège parfait pour le pervers maître chanteur, en prenant une apparence féminine irrésistible ! Sowerberry aurait dû tomber directement dans les mailles du filet. Envy serra les poings et prit une décision. Il s'approcha du couple, dans le but de s'insinuer entre eux, lorsqu'un incident inattendu eut lieu.

La jeune fille se prit une gifle monumentale et tomba à terre. Devant ce spectacle de violence, les autres professionnelles s'écartèrent des acteurs comme s'ils étaient des pestiférés. Elles s'évanouirent même avec une discrétion incroyable, se fondant dans l'obscurité de la nuit. Elles avaient dû acquérir cette capacité à force de fuir les représentants de l'ordre. Envy occulta ces entités insignifiantes pour s'avancer vers sa cible. Il se demandait comment ce gros balourd avait fait pour tromper la vigilance des Hautes autorités et menacer le complot de Père. C'était humiliant, et bientôt Envy se chargerait de tout régulariser. Il pouvait faire porter le chapeau à cette fille, permettant d'enterrer vite le dossier, sans soulever de questions, comme pour la guerre d'Ishval. Après tout, il y avait beaucoup de témoins ayant vu l'inconnue se faire violenter.

Alors qu'il progressait vers eux, le déserteur se mit à injurier la femme à terre. Il tournait le dos à l'homonculus, qui attira l'attention vers lui en toussant bruyamment. Surpris, le Corbeau sursauta et vit volte-face. Ses yeux étaient injectés de sang, et il postillonnait tandis qu'il s'adressait à l'importun avec un doux langage fleuri.

- Barre-toi, espèce de ***, si tu ne veux pas qu'il t'arrive des bricoles !

Envy afficha une moue de désapprobation et haussa les épaules.

- Impossible, il fallait vraiment que je te vois.

Le Pêché incarné nota la présence d'une arme dans la main gauche de son interlocuteur. La pauvre fille à terre allait salement morfler. Peu importe.

- Casse-toi, ***, rien à f** de tes ***, va *** tes *** ailleurs ! Sinon, je t'agrandis ton sale sourire sur ta sale gueule avec ce couteau !

Le taux d'insulte par seconde dépassait le seuil de tolérance d'Envy.

Le rustre personnage se baissa, saisit de sa main droite le col de la robe de sa pauvre victime et l'obligea à se lever, l'étranglant un peu de cette manière. Il leva son couteau. Envy, avec une sorte d'indolence qu'on pourrait imputer à sa lassitude, agrippa le bras meurtrier avant qu'il ne s'abaisse. La voix de la belle blonde perdit alors ses accents joyeux et devint plus grave. Ce timbre inquiétant et cette force démesurée pour une femme de ce gabarit déstabilisèrent Sowerberry.

- J'ai fait des kilomètres pour venir à toi, alors tu devrais faire preuve de plus de considération envers moi.

L'homme n'en revenait toujours pas. Était-ce parce qu'il se faisait dominer par une femme - cela ne devait pas lui arriver souvent - ou parce que Miss Blonde était en train de lui broyer les os ? Non, cela devait venir de sa voix changeante. Sower lâcha sa victime qui chuta à terre. Cette dernière sortit un couteau pour se défendre. Comme si elle avait la moindre chance face à un ancien militaire, déserteur aux abois.
Le maître chanteur, loin de réagir, restait abasourdi. Après réflexion, la petite brune avait sa chance, son agresseur était vraiment un gros minable. Dire qu'Envy avait eu droit à un portrait plutôt valorisant de cette personne. Quelle déception ! Toutefois, même si la gamine pouvait se débrouiller, il était intolérable qu'elle vole la proie d'Envy. Il asséna un puissant coup de poing dans le plexus solaire de Sowerberry qui s'effondra en beuglant, une lueur d'incompréhension dans ses yeux. Envy allait s'en donner à cœur joie.

Celui-ci entendit la voix de la jeune fille, qui lui posait une question. Envy la regarda, durant une petite seconde. Puis il l'ignora superbement. Il avait mieux à faire. Il souleva sa victime par les cheveux et lui donna un coup de pied qui projeta le corps contre le mur mal éclairé d'une habitation. Envy déserra son poing et libéra les mèches qui avaient été arrachées.
Sowerberry, encore conscient, mais dont les épaules recueillaient le sang coulant depuis l'arrière du crâne, osa poser une question.

- Mais qui es-tu ?

La belle blonde éclata d'un rire tonitruant, qui n'avait vraiment plus rien de féminin.

- Tu devrais avoir une petite idée, non ?

Elle avança d'un pas gracieux. Dès qu'elle fut à un mètre de sa cible, des sortes d'arcs électriques rouges balayèrent son corps depuis les pieds jusqu'à la tête, dévoilant ainsi l'homonculus aux vêtements noirs et aux cheveux longs et raides.
Thenard accusa le coup. Non pas qu'il connaissait Envy. Par contre, puisqu'il avait eu vent du Plan, il ne pouvait ignorer certains faits. Il parla d'une voix tremblante, les sourcils froncés d'une peur qu'il tentait de masquer.

- Tu es un homonculus, c'est ça ?

Envy lui adressa un magnifique sourire s'étirant jusqu'aux joues et se mit à applaudir.

- Bravo ! Bonne déduction ! Je ne voulais pas te tuer avant que tu aies pu réaliser la portée de tes actes et constater ton erreur. Mais avant toute chose...

Il posa ses paumes de main contre le mur, à deux centimètres du visage du traitre qui se mit à blêmir.

- Où as-tu mis l'argent ? On trouve que tu as trop ponctionné Central. Pourquoi ne pas faire une petite donation avant de crever ? ça serait sympa !

- Je ne te le dirais pas.

- Mauvaise réponse...

Il donna un coup de poing dans le visage du militaire qui se mit à hurler. Envy croisa les bras, et toujours souriant, reprit.

- Je repose la question. Où est l'argent ?

- Va te faire ....

L'insolent n'eut pas le temps de terminer sa bravade. Envy lui saisissait le bras et le fit valser dans les airs pour enfin l’aplatir sur le trottoir. Puis il écrasa sa trachée avec son pied gauche. L'homonculus soupira et parla d'un ton doucereux, presque compatissant.

- J'essaie de t'aider, pourtant. Plus vite tu parles, plus vite j'abrégerais tes souffrances. Au final, on arrivera au même résultat : tu vas parler. Alors autant ne pas trop souffrir, tu ne crois pas ?

L'homme pointa un index et désigna la fille brune. Il toussa et cracha de l'hémoglobine avant d'articuler péniblement.

- C'est ...elle...elle me l'a volé...

Envy frappa son front du plat de la main.

- Mais que vais-je bien pouvoir faire de toi !

Il accentua la pression sur la gorge du malheureux. Envy perdit son sourire, devenant sérieux. Le Corbeau comprit qu'il n'avait plus d'échappatoire. Il était fichu.

- Sous la dalle brune, dans la maison aux volets verts. Place centrale.

Envy retrouva son sourire cordial et mit ses mains sur ses hanches.

- Et bien voila ! Ce n'était pas si compliqué !

Il souleva son pied et s'éloigna de Monsieur Thenard. Ce dernier posa ses mains à son cou, pour soulager la compression douloureuse et reprendre son souffle. Il se releva péniblement, tandis qu'Envy lui tournait le dos. Le militaire glissa sa main à l'intérieur de son manteau et sortit une arme à feu. Il allait tirer sur l'homonculus. Avec une rapidité surprenante, Envy récupéra le couteau tombé à terre un peu plus tôt, se précipita vers sa proie et lui enfonça à dix reprises la lame dans son corps. Une fois son forfait accompli, l'homonculus jeta l'arme blanche dans le caniveau.
Il posa une main sous son menton. Voyons...La place centrale. Où était-elle ? Hum, il n'en avait aucune idée. Il fit une moue. Comment se repérer ? Il fouilla les vêtements du mort et trouva un porte-feuille. L'objet contenait quelques billets, mais pas de papiers intéressants. Envy demeura pensif. Il lui faudrait un guide. Une lumière s'alluma dans son esprit. Il fit volte-face et regarda la jeune fille de tout à l'heure. Celle qui lui avait posé une question.

- Hey, tu sais où c'est la Place Centrale ?

Il l'avait ignoré de tout à l'heure, se moquait de ce dont elle avait été témoin. Elle pourrait toujours tenter de parler, mais tout le monde la prendrait pour une folle. Au sein de la société, elle n'était rien. Pire, elle serait tellement suspecte qu'elle endosserait le meurtre du sale type.
Toutefois, il accepta de la considérer, juste le temps où elle se rendrait utile.

L'Homonculus prenait enfin le temps de regarder la jeune brune. Elle ressemblait à toutes les humaines. Peut-être moins banale que d'autres. Cela pouvait expliquer pourquoi le gros lourdaud l'avait préféré à la couverture d'Envy. Elle pouvait le mener sans problème à l'endroit indiqué par l'ancien militaire. Parfait pour Envy, cela lui éviterait de perdre du temps. Toutefois, la jeune femme n'allait pas lui offrir un service gratuitement : elle voulait l'argent que l'homonculus avait prélevé dans le porte-feuille. Et bien, elle ne perdait pas le nord, elle ! D'ailleurs, pas grand chose ne l'étonnait...Elle avait assisté à un interrogatoire musclé, à un meurtre, et à la démonstration d'un pouvoir d'homonculus. Elle n'avait même pas cillé. Était-elle habituée à voir des bizarreries, ou alors plus rien ne pouvait l'étonner ?

Envy jeta un coup d’œil sur les billets. Dire que pour survivre, les humains avaient besoin de ce ridicule petit bout de papier. Un petit rien, qui perdait sa valeur juste en le déchirant ou en le brûlant. Il fit glisser la monnaie entre ses doigts. Comment cette fille pourrait dormir, manger, se soigner le lendemain, sans ce passeport vers le droit de vivre ? Il suffirait d'un geste, de les laisser tomber dans le caniveau, pour plonger cette fille dans le désespoir. Il leva le bras, laissant les billets bouger au gré d'une petite brise.

Il se ravisa et tendit l'argent à la jeune fille.

- Et voila....Bon, je vous suis, par où partons-nous ?

Tandis que l'obscur personnage se mit à suivre la fille de joie, celui-ci se posait des questions. Etait-il dans un jour de bonté ? Il avait sauvé cette femme d'une mort certaine, lui confiait l'argent alors qu'il aurait pu s'en débarrasser, et allait la laisser en vie après tout ce qu'elle avait vu. Elle porterait le chapeau de la mort du maître chanteur, ça serait suffisant. Voila que l'homonculus s'amollissait avec le temps. Il faudrait remédier à cela. Peut-être que finalement, il la ferait taire, définitivement.
Pour le moment, il demeurait silencieux, mais il se posait vraiment des questions sur cette femme. D'habitude, il s'énervait plutôt sur les humains, leurs défauts insupportables. En revanche, au cours de cette soirée très animée, il se montrait vraiment très intrigué. Il ne se débarrasserait pas d'elle tant qu'il n'aurait pas obtenu de réponses à ses interrogations.

Envy marchait toujours, sans mot dire, son visage exprimant la plus grande indifférence. Il avait replié ses bras derrière la tête, considérant son environnement avec beaucoup de désinvolture. Vivement qu'il récupère le pognon des imbéciles de Central, qu'il en finisse avec cette mission. Lust aurait trouvé la situation plus passionnante, sans doute. Où était-elle, d'ailleurs, celle-ci ?

La jeune femme le tira de sa rêverie. Elle s'était retournée vers lui, pour voir s'il parvenait à la suivre. Précaution inutile : elle ne marchait pas vite, et de toute façon Envy ne partirait pas tant qu'il n'obtiendrait pas ce qu'il voulait. Leurs yeux se croisèrent. Elle se mit à lui sourire. L'homonculus haussa les sourcils d'étonnement. "Cette femme est totalement barge", pensa-t-il.
Outre l'incompréhension devant cette manifestation - il ne pouvait envisager un sourire en dehors du sarcasme ou du sadisme - il réalisa que personne, par le passé, ne lui avait souri ainsi. Qu'est-on censé ressentir dans le cas présent ? De la réjouissance ? Du bonheur ? Ce n'était pas très parlant, tout ça. Envy se sentit plutôt...mal à l'aise...Il croisa les bras et continua d'avancer.

L'inconnue n'en avait pas fini avec lui, pourtant. Elle réitérait sa précédente interrogation, après s'être présentée. Kalia était son nom. la belle affaire ! A quoi cela allait servir, on se le demande, puisqu'elle allait bientôt crever. Et il ne faudrait pas compter sur lui pour graver son nom sur la pierre tombale.
Pourtant, Envy était plutôt satisfait qu'elle rompe le silence. Étant donné qu'il était un inconditionnel bavard, le silence était pour lui chose pesante. Toutefois, il ne serait pas parvenu à lancer la discussion avec cette étrangère.
Il arrêta son pas et la fixa bien dans les mirettes, comme s'il voulait comprendre le fond de sa pensée.

- Vous avez entendu ma conversation avec l'autre tache, vous avez déjà votre réponse, me semble-t-il.

Il avait réussi à parler. Il n'allait pas lâcher le morceau de sitôt, maintenant que le moulin à parole était lancé.

- C'est exact, je suis un homonculus.

Il fit une pause, avant de reprendre en affichant un petit sourire en coin, ce qui le rendait plutôt inquiétant.

- Votre question suivante, ça sera quoi ? Qu'est-ce qu'un homonculus ? Vous avez entendu ce mot tout à l'heure, et vous ne comprenez pas ce que ça signifie...

Il posa un doigt sous son menton pour se donner un air pensif de façade.

- Ou bien...Vous savez déjà de quoi il s'agit, et ça sera à moi de poser une question : comment savez-vous ce qu'est un homonculus ?

C'est en cloturant son discours - il en était fier, d'ailleurs - qu'Envy nota qu'il se mettait à la vouvoyer. Si lui était un homonculus, qui était-elle vraiment, cette femme ? Une sorcière ?

Kalia était une personne directe. Courageuse. Inconsciente. Elle avait assisté à l'assassinat de Sowerberry Thenard sans être choquée. Au lieu de s'enfuir, elle acceptait d'accompagner le tueur jusqu'à la planque. Et elle évoquait à présent l'existence des homonculus presque comme si elle parlait de la météo.
Envy la dévisageait, assez circonspect. Pourquoi une femme des rues lisait des ouvrages sur l'alchimie ? Elle voulait devenir alchimiste, peut-être ? Par curiosité intellectuelle ? Ou bien cette demoiselle cachait bien son jeu, et n'était pas du tout ce qu'elle prétendait. Et si c'était un piège tendu à l'homonculus de la Jalousie ?

Histoire de prolonger les effets de surprise, voila que la jeune femme continuait ses discours incongrus. Elle voulait rencontrer un homonculus. Quoique, en y regardant de plus près, beaucoup de personnes voulaient les rencontrer. Pour obtenir le secret de leur immortalité et de leur pouvoir, pour qu'ils défendent leur intérêt, ou pour les détruire (dommage que ces derniers se fassent de plus en plus nombreux). Cette simple mortelle n'était pas différente des autres, avec des défauts qui font des êtres humaines une espèce misérable et répugnante.

Voila qu'elle parlait de famille, maintenant ! Pour une fois, voila une raison originale de rencontrer un homonculus. Voulait-elle devenir la biographe officielle des enfants de Père ? A moins que ce ne soit une espionne ; auquel cas elle manquait terriblement de subtilité, ce qui permettait de lui accorder le bénéfice du doute. En tout cas, elle avait réussi à titiller la curiosité d'Envy, et même si elle se montrait trop entreprenante, autant entrer dans son jeu pour en savoir plus.

- Je ne sais pas pourquoi vous voulez savoir cela. Vous voulez des infos sur moi, d'accord, mais cela ne sera pas gratuit.

Il fit quelques pas pour se rapprocher d'elle, la frôlant presque tandis qu'il la dépassait, pour finalement s'installer le dos contre un mur. Un petit sourire en coin se dessina sur ses lèvres. Le genre de sourire qui n'augure jamais rien de bon.

- Les personnes qui veulent en savoir plus sur nous prennent énormément de risques. Lorsque j'aurais fini de parler, sache que votre destin tiendra aux raisons de vos interrogations. J'espère pour vous qu'elles seront valables à mon goût. Sinon, je vous forcerais à m'indiquer où se trouve la fameuse place centrale, et cela sera la dernière action de votre vie. Je pense que vous m'avez vu à l’œuvre tout à l'heure ; il est donc inutile de vous demander si je suis capable ou pas d'enlever une vie. La seule question que vous pourriez vous poser à ce moment-là est : va-t-il me tuer de suite ou me faire souffrir ?

Une fois cette précision apportée, ponctuée par un petit rire sardonique dont il avait le secret, il se mit à parler. Comme d'habitude, Envy parlait trop. Un jour, cela lui porterait sûrement préjudice. Mais pour l'instant, il n'en avait cure, il ne s'apercevait même pas du danger que cela pouvait représenter.

- Non, je ne suis pas le seul. Et oui, il existe une sorte de ...famille.

De nouveau il se mit à rire. Une famille, oui. Assez risible comme famille d'ailleurs. Mis à part d'être entouré de personnes particulièrement pénibles et moralistes, Envy ne comprenait pas l'intérêt qu'ils soient tous réunis ensemble.
Glutonny, le crétin congénital. Il pense qu'à bouffer, à croire que son cerveau et son estomac ne forment qu'un seul organe.
Lust, la plantureuse séductrice, intelligente et fourbe. Une des rares qu'Envy apprécie.
Greed, le traitre insupportable, qui avait su s'éloigner de Père et mener sa propre vie. Envy en ferait de la chair à pâté, mais on ne lui en avait pas laissé l'occasion.
Wrath, le vieil humain devenu homonculus, l'intrus parmi les humains de synthèse, qui malgré sa différence, se prenait pour le chef.
Pride...Mieux valait ne pas en parler, de lui.
Quant à Sloth...Cela ne servait à rien de l'évoquer. En même temps, Envy n'avait jamais vraiment eu de contact ou de discussion avec lui. Toujours dans son tunnel à creuser, la seule chose qu'il savait dire était :"je suis fatigué". Pas de quoi tenir le crachoir dans ces conditions.
Et puis, il y avait Père.

- Nous avons un même Père, ce qui par définition fait de nous une famille. Peut-être pas dans le sens où vous, les humains, vous l'entendez.

L'exemple même d'une famille, aux yeux d'Envy, était celle d'un des militaires qui fréquentait le terrible Roy Mustang. Un militaire qui s'intéressait trop aux homonculus, lui-aussi. Un certain Maes Hugues, qui criait à qui voulait l'entendre que sa femme était formidable et que sa fille était un véritable trésor. La famille parfaite. C'était à vomir.
Si Kalia imaginait effectivement que les homonculus puissent être une famille comme celle de Hugues, elle se trompait du tout au tout.

- Vous les humains, vous voyez la famille comme une communauté soudée où l'on peut se soutenir les uns les autres, où vous êtes capable de donner votre vie en échange de celle de votre frère.

Inutile d'indiquer à qui il faisait référence.

- A mettre en jeu votre existence pour faire revivre votre mère. Ou l'on vous donne de l'argent pour faire des études et travailler. Où vous avez des cadeaux pour votre anniversaire.

Perdant sa bonne humeur, Envy leva le ton. CE n'était pas de l'agacement. Plutôt de la colère.

- C'est juste pathétique !

Et bien, jamais de sa vie Envy aurait pu croire qu'il rencontrait un humain détestant à ce point les gens de sa race. Kalia venait d'exprimer son propre ressenti face à la notion de famille ; et cela ne valait pas mieux que l'idée dont s'en faisait l'homonculus. Cette femme avait dû énormément souffrir par le passé, à cause des autres. Au point même qu'elle en reniait son rattachement. Sur le papier, d'ailleurs, sa façon de décrire la famille correspondait justement à la "famille Homonculus" selon Envy. Des beaux parleurs qui te font la morale...Ca rappelait quelque chose à l'humain artificiel. Aucune famille n'est parfaite.

Au fond de lui, tout de même, Envy regrettait justement que les homonculus soient ainsi. Bien sûr, il ne se l'avouerait jamais. Pour lui, il détestait les humains, point barre. Toutefois, s'il venait un jour à se coucher sur le divan d'un psy, et que ce dernier ferait l'analyse comportementale, il détecterait que l'envie d'Envy était justement d'avoir une famille comme celle d'Edward Elric ou de Maes Hugues. Sinon, pourquoi s'emporterait-il à ce point sur cet esprit de solidarité et de coalition qu'on trouve chez eux, si ce n'était pas par jalousie ?

Oui, Kalia avait beaucoup souffert par le passé. De ses paroles, Envy conservait quelques informations importantes. Elle avait été rejetée. Etait passée de familles en familles, et prise au départ par ces parents adoptifs juste parce qu'elle était belle. Mais lorsque son caractère prenait le dessus, les parents se contentaient de la délaisser.
Comme Envy, une fois de plus. Non, il n'était pas passé de famille en famille, mais il est vrai qu'il avait un caractère tel qu'il ne parvenait pas à acquérir la reconnaissance de ces pairs. Il ne pouvait imaginer qu'un homonculus pleure sa mort, tandis que si Lust venait un jour à mourir, elle serait regrettée. Bah, à quoi cela servait de penser à ça, hum ? Ils ne mourraient pas de toute façon.
Le dernier élément apporté par Kalia confirma à quel point les humains pouvaient être des êtres détestables. Ne venait-elle pas de dire qu'on l'avait mise à la poubelle ? C'était une métaphore ou une réalité ?

En écoutant Kalia déverser toute sa haine de l'humain, l'homonculus se mit à rire. Il commençait à bien l'apprécier, cette petite !

- Oui, oui, je suis toujours là, et j'ai bien entendu tout ce que vous avez dit. C'est marrant d'ailleurs.

Il haussa un sourcil, et constatant ce qu'il venait de signifier, se dépêcha d'éclaircir son discours.

- Je ne veux pas dire que ce qui vous est arrivé est marrant, hein ! Vous ne faites que confirmer ce que je pense depuis longtemps des humains, et je n'aurais jamais pu imaginer rencontrer quelqu'un comme vous. Quelqu'un qui les rejette avec tant de force et de haine.

Envy s'étonnait lui-même de sa réaction. C'était quoi, cette réplique ? De l'empathie ? Ce n'était pas censé être le genre de la maison. Il fallait reconnaitre pourtant qu'il se sentait plus proche d'elle...

Bah, elle était bête ou quoi cette humaine ? "c'est peut-être parce que je pense, que vous n'êtes pas si débile que les humains, que vous en avez un peu plus dans la tête...." Évidemment que les homonculus ne sont pas comme les humains et leur sont mille fois supérieurs en tout ! Quoique pour l'intelligence de certains, il ne fallait pas trop s'attarder...De toute façon, un jour ou l'autre, les humains ne seraient plus qu'une histoire ancienne. Tous, sans exception. Ennemis, alliés finiraient comme fournisseur d'énergie pour Père. Il ne restera alors à la surface de la Terre que les homonculus, les seuls êtres parfaits et dignes d'exister. Dire qu'il y avait des militaires qui rêvaient de leur armée d'immortels, de leur pierre philosophale, pour se retrouver au même niveau que les autres, soit à six pieds sous terre ? Le jour où ils réaliseront leur erreur, ce sera trop tard...

Kalia reprit le chemin de la Place CEntrale, mettant momentanément fin à leur conversation. De nouveau, elle prit le temps de se retourner pour sourire à Envy. Ce sourire était différent du premier. L'homonculus ne pouvait pas vraiment dire en quoi, puisqu'il n'arrivait pas à comprendre l'idée cachée par cette émotion. Il rêvait ou il avait apporté un peu de bonheur à cette fille juste en parlant ? L'idée même qu'il puisse satisfaire quelqu'un était contraire à tout ce qu'il faisait. On allait bientôt dire de lui qu'il était un bienfaiteur, tant qu'à faire ? C'était tellement incroyable et tellement nouveau qu'il ne savait pas s'il devait se réjouir ou pas. Peut-être pas, finalement. Les autres allaient se moquer de lui ou le remettre à sa place s'il commençait à se lancer dans l'humanitaire. Et c'était sans compter sur son amour propre...

Voila autre chose, elle lui tendait la main maintenant ! Il devait faire quoi, dans ces cas-là ? Son instinct sombre lui disait de lui couper la main, de lui arracher les ongles, de la dépecer de la tête aux pieds et jeter les restes dans une rivière ! Envy devait faire peur, pas inspirer la confiance, tout de même ! Il tentait de ne pas le montrer, mais il enrageait de se trouver aussi faible devant une fille de joie sans importance qui devait juste lui servir de guide avant de finir en pâté pour chien ! De plus, l'humain artificiel sentait qu'elle n'en avait pas fini et qu'elle voulait encore parler. Sauf qu'elle ne semblait pas oser. Pourtant, elle avait déjà ouvert sa boite à camembert tout à l'heure, pourquoi hésitait-elle à présent ? Voulait-elle aborder quelque chose de plus délicat ?

Envy laissa la main de Kalia pendre dans le vide - faut pas exagérer, non plus ! - et se contenta de la suivre dans la nuit noire, sans étoiles. Ils devaient être à proximité, car la jeune fille semblait ralentir. Il fit une pause, soupira et croisa les bras.

- Je me trompe ou vous n'avez pas encore tout dit ? Allez-y, lâchez-vous. Vous avez encore des questions ?

"Fais-le avant que tu ne meures", pensa-t-il. "Je t'accorde quelques minutes supplémentaires..."

- En tout cas, laissez-moi vous dire une bonne chose. Je ne sais pas ce que vous pensez à mon sujet, mais je ne suis sûrement pas ce que vous attendez...

Ou comment dire subtilement : "j'aimerais bien savoir ce qu'il se passe dans ta tête pour vouloir me tendre la main et me sourire, sachant que tu es à dix mille lieues de savoir qui je suis, espèce d'inconsciente !"

Envy aurait dû se douter qu'il y avait une embrouille avec cette femme. Dès le départ, elle s'était montrée intéressée par les homonculus, elle avait fait des recherches, elle détestait les humains. Elle se sentait proche des humains artificiels. C'était tellement prévisible qu'Envy ne l'avait pas vu venir : elle voulait agrandir la petite famille !

L'homonculus de la jalousie était tenté de se moquer d'elle et de l'abandonner ici, même si cela voulait dire renoncer à l'argent. Ce pognon, il s'en fichait. Il dirait aux hommes de Central qu'il n'avait pas pu le récupérer, au final. Et si ces huiles râlaient, ils comprendraient qu'il ne fallait pas chercher notre palmier sur pattes.

Toutefois, Kalia avait dit une chose qui lui convenait. Qui allait la sauver de son terrible destin. Elle n'avait pas fait exprès, elle n'était pas une calculatrice. Elle avait cependant trouvé le moyen de survivre face à Envy : la flatterie. On pouvait accoler beaucoup de pêchés à cette personne détestable, dont l'orgueil. Qu'on dise du bien de lui, avec sincérité, voila qui était touchant. Envy se mit à sourire. Un sourire plutôt jovial (assez flippant). Il mit ses poings sur ses hanches. On aurait presque dit un petit lutin avec son air malicieux.

- Nous y voila.

Un lutin diabolique.

- Alors comme ça, tu oses faire un marché ? Tu ne manques pas d'audace !

Il s'approcha d'elle, se trouvant à deux centimètres du corps de la jeune femme. Il était à peu près de la même taille qu'elle. Dommage, il aurait préféré la dominer en la regardant de haut.

- Je t'aime bien, toi, tu sais...

Son regard se durcit d'un coup. Envy devint sérieux, et sévère. Pour montrer qu'il allait être sérieux pour ses prochains propos, il devait abandonner le sarcasme pendant quelques temps. Kalia n'avait aucune idée de ce qu'elle demandait. Sa vie passée était certes pourrie, elle pouvait détester les humains. Était-ce suffisant pour passer de l'autre côté et de devenir un enfant de Père ? A moins qu'elle veuille juste rejoindre leur camp, et pas devenir l'un des leurs. Autant en avoir le cœur net.

- Dis-moi si j'ai bien compris. Tu veux venir vivre avec nous, ou tu veux devenir comme nous ?

Envy savait qu'il allait une fois de plus bafouer les secrets à conserver. Décidément, il ne savait pas se taire. Kalia saurait tout sur les homonculus; même les informations les plus inavouables. Sera-t-elle prête à assumer ce qu'elle pourrait voir par la suite ? Comme les innocents sacrifiés, les meurtres sanglants, la domination de Père ? Il posa son doigt sur le torse de Kalia, afin de la provoquer.

- A quel point veux-tu rejoindre notre famille ? De là à devenir un homonculus, toi aussi ? Si tu as fait des recherches sur nous, tu devrais savoir que ce n'est pas comme ça que nous naissons. Quoique... Nous avons progressé, depuis le temps. Nous pouvons faire des homonculus à partir d'humains. Il faut le mériter, en revanche. C'est très difficile, et très douloureux. Pire que ce que tu ne pourras jamais imaginer.

Il fit une pause avant de continuer.

- Je veux bien t'emmener et te montrer le monde des êtres les plus beaux (sauf Sloth, Wrath, Glutonny, Greed), les plus puissants, invincibles et immortels. Tu veux nous rejoindre ? Certes. JE ne sais pas si les autres accepteront pour autant.

Difficile de prendre une décision aussi rapidement. Avant de devenir un homonculus, il fallait poser le pour et le contre.
Il y avait tellement d'avantage à être un homonculus : une espérance de vie assurée - puisqu'ils seront tous épargnés lors du Grand Jour, des pouvoirs phénoménaux qui dépassaient la nature elle-même et les rapprochaient des Dieux. Être au dessus des lois. Jouer avec les vies, sans être puni. Bon, il y avait toujours la douleur pendant un combat, mais c'était un détail. Personne n'était capable de les blesser ou les tuer ! Des Dieux, oui, voila comment on aurait dû les appeler, dans les ouvrages d'alchimie. Pas comme des humains de synthèse ! Peuh...Humains de synthèse. Pourquoi les comparer à ces êtres sordides ? Pourquoi les décrire ainsi ? Les homonculus n'avaient rien d'humain ! Sur l'apparence, peut-être, mais le reste n'avait rien en commun...Il y avait tellement d'avantages à être un homonculus. Pas étonnant que cela puisse intéresser Kalia. Seulement...En devenir un, c'était souffrir. Wrath pourrait en parler pendant des heures, de cette douleur, de cette modification profonde qui secouait les êtres jusqu'aux tréfonds de la souffrance, à un point que l'imagination, si fertile soit-elle, ne pourrait jamais atteindre. Tiens, d'ailleurs, Envy aurait donné beaucoup pour voir la tête du jeunot souffrir le martyr tandis qu'on lui implantait la pierre philosophale... Ça devait être marrant de voir le voir quitter son état d'humain répugnant à celui de prétendu leader des homonculus. King Bradley. Le Roi. Quelle douce blague de penser que ce sale gosse pouvait se faire respecter des autres homonculus d'un seul regard, alors qu'il n'était qu'une expérience...Envy ne put empêcher d'afficher un rictus à cette pensée. Mais il fallait reconnaitre que Wrath était l'un des rares à lui clouer le bec.

Force était de constater que cette femme était déterminée. Envy relia ce comportement à de l'ignorance. Si elle avait la moindre idée de ce qu'il pouvait lui arriver en entrant chez les homonculus, elle partirait plutôt en courant. Elle n'avait pas l'air bien méchante. Plutôt dépitée, en colère contre la terre entière. Mais méchante, non. Serait-elle capable d'effectuer la moitié des missions dont Envy s"était occupé ? Comme tuer un enfant Ishval sans regret ? Difficile à imaginer.

Toutefois, elle partait sur une bonne piste. Outre la détermination, elle n'avait pas froid aux yeux, vu qu'elle osait toucher le doigt d'Envy sans ciller. Elle était furieuse - et la colère peut donner de bons résultats. Il n'y a qu'à voir Scar pour en être convaincu ! Elle n'avait rien à perdre, cela ne faisait aucun doute. Tandis que Thénard avait manqué de la tuer, Kalia n'avait pas tremblé ; elle était même prête à répliquer. D'autres humains auraient pitoyablement imploré la pitié. Pas elle. Non, Kalia n'était pas une femme comme les autres. Et si pour le moment, elle n'était pas au niveau des autres homonculus en matière de cruauté, elle pouvait progresser.

Envy n'ajouta rien et la laissa faire, tandis qu'elle reprenait le chemin de la fameuse maison. Elle le guida fort bien à la demeure de Thénard. La porte était fermée à clé. Prévisible de la part de ce sale renard. L'homonculus administra une pichenette de l'index à la porte. Celle-ci s'envola violemment à l'autre bout de la pièce et percuta le mur. Envy, peu soucieux des dégâts, pénétra dans la maison obscure à cause de l'heure tardive et l'absence de lumière intérieure. Il repéra bien vite la cachette. Il défonça le parquet sans aucune difficulté. Il y trouva l'argent. Son visage s'éclaira d'une lueur malsaine. Il chercha un sac, en trouva un, et se mit à le remplir jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Tandis qu'il transférait les billets, il reprit aussitôt le fil de ses pensées.

- Tu devras faire des progrès supplémentaires si tu veux devenir comme nous. La transformation physique ne suffira pas. Faudra suivre aussi au niveau de la mentalité.

Il ramassa le dernier billet, ferma le sac, se releva et se dressa en face de Kalia.

- Tu détestes les humains, c'est évident. C'est ce que je préfère le plus chez toi. Mais tu ne les détestes pas entièrement. Pas assez, pour ma part.

Il allait enfin aborder quelque chose qui dépassait son entendement depuis qu'il avait dû endosser le rôle de la blondasse promeneuse de trottoir. Quelque chose qui le turlupinait depuis des années, et que sa rencontre avec Kalia avait soulevé.

- Ton métier. C'est pas ça que les humains appellent l'amour ?

Rah, ce mot !!! Ce mot !!! Rien que de le prononcer, Envy avait l'impression d'avoir avalé cul sec un cocktail Wasabi-Tabasco.

Cette femme lui parlait chinois. Clichés romantiques ? petits coeurs de partout ? Pour Envy, cette dernière phrase évoquait plus les organes vitaux répandus par terre dans une mare de sang. Pas sûr que Kalia entende la même chose que lui. Une chose toutefois était claire dans son discours : l'amour n'avait rien à faire dans le métier de la jeune femme. Non, décidément, Envy ne pourrait jamais comprendre certaines particularités humaines, ce besoin de s'unir de façon si écœurante. Bah, quelle importance, au final de se préoccuper de ces choses-ci ?

Il regarda sans ciller la femme en colère. Quand elle eut terminé de parler, il s'adressa à elle en reprenant le tutoiement qu'il avait abandonné pendant quelques minutes. C'était plus pratique que le lourd respect de la deuxième personne du pluriel. Plus autoritaire aussi.

- Sors d'ici.

Il lui jeta le sac d'argent dans les mains. Bien qu'il eut compris qu'elle était sans le sous, et qu'elle était une voleuse, il savait qu'elle ne partirait pas avec l'argent qu'elle avait dans les bras. Cela équivaudrait à une condamnation à mort. Envy était beaucoup trop rapide pour elle. 

Tandis qu'elle était à l'extérieur, l'homonculus fouilla la maison entière, se moquant du boucan et des dégâts qu'il pouvait provoquer. lorsqu'il eut récupéré certaines choses intéressantes, il alluma le four, les gazinières. Il passa le seuil de la maison et se retrouva dans la rue. Il gratta une allumette qu'il avait emprunté dans un tiroir, et la jeta dans la demeure.

- Éloignons-nous.

Ils firent tous les deux quelques pas, en silence. Envy s'arrêta et se retourna vers l'habitation qui venait d'exploser, détruisant au passage les maisons adjacentes. 

- Joli feu d'artifice, n'est-ce pas ?

Les habitants sortaient paniqués des bâtiments en flamme. Ils évacuaient leurs proches, des affaires qui pouvaient l'être encore. L'un d'entre eux se mit à courir, sûrement pour aller chercher des pompiers. L'embrasement se reflétait dans les yeux cruels d'Envy, qui se satisfaisait de ce spectacle. Il avait volontairement mis le feu et souhaitait qu'il y ait des dommages collatéraux. Pour le plaisir, mais pas seulement. Il se tourna vers Kalia et l'observa attentivement.

- Je suis homonculus de naissance. J'ai été créé comme tu me vois ici. L'un d'entre nous est différent. Il est né humain, mais il est devenu l'un des nôtres. C'est le seul de sa catégorie. Il est la preuve qu'il est possible de devenir un homonculus, en passant par un procédé très spécifique.

Il fit une pause avant de reprendre.

- Avant de devenir l'un d'entre nous, cet homme a eu des doutes. Mais on lui a appris à devenir une personne sans pitié pour autrui. De sorte qu'il ne ressent pas de culpabilité face à ce qu'il peut commettre. Tu as vu mon feu d'artifice ?

Il le montra de la main avec une grande fierté.

- Il y avait des innocents, dans ces maisons. Des mères de famille, des enfants. Ceux qui sont encore vivants ont perdu toutes leurs possessions. Il ne suffit pas de grand chose pour détruire toute une existence. Un simple bout de bois, et un peu de souffre.

De nouveau, il s'interrompit. Le ton de sa voix devint plus dur, quittant cette bonne humeur malsaine qu'il arborait d'habitude.

- Si tu veux rejoindre les homonculus, en devenant l'un d'entre eux, ou simplement en cohabitation, il te faudra être capable de prendre une allumette et la griller sans se préoccuper de la présence d'innocents. Réfléchis bien avant de prendre ta décision. Une fois avec nous, pas question de jouer les mijaurées et refuser sous des prétextes foireux. Les états d'âme, c'est pas notre problème.

Une humaine sans la moindre pitié pour autrui ? Voila qui rendait cette femme encore plus intéressante. Elle ne montrait pas le moindre regret et n’émettait aucune protestation contre le geste d'Envy qui pourtant avait sacrifié inutilement des victimes innocentes. Que l'homonculus déteste les hommes, la raison était logique. C'était presque dans sa nature. Mais le réflexe chez les êtres humains, comme chez les animaux, n'était pas de lutter en faveur de la survie de l'espèce ? Voir ces fourmis griller, cela ne la choquait pas plus que cela ? Elle ferait un bon bois pour un feu homonculus, la petite Kalia. Oui, vraiment, elle était intéressante. Non, pas intéressante. Fascinante. Si Envy avait eu la capacité de se laisser séduire, il aurait été tenté par ce côté mutin, blasé, et destructeur. Enfin, cela aurait été possible si l'homonculus de la jalousie n'était pas déjà amoureux de sa personne.

L'homonculus et la jeune fille s'écartèrent des lieux du drame, tandis que le quartier entier disparaissait dans les flammes, juste pour cacher une infraction dans une seule maison. Pourquoi faire dans le discret quand on pouvait faire dans le grandiose ? Envy était sûr qu'il aurait droit à une remarque de la part de ses pairs ou de ces idiots de Central, parce qu'il en avait trop fait, mais il avait pris beaucoup de plaisir. A présent, il était temps de quitter la ville et rejoindre le QG.
De toute façon, ce que pourraient lui reprocher en priorité les autres homonculus était la présence de Kalia. Envy allait devoir bien s'y prendre pour expliquer ce qu'il s'était passé. Peut-être lui accorderont-ils du crédit parce qu'il n'aimait pas les humains, et que pourtant il en avait ramené une ? C'était un argument à ne pas négliger.

Ils étaient à quelques pas de la voiture qu'avait emprunté Envy pour venir jusqu'ici. Pas de train pour lui : il n'aimait pas vraiment les transports en commun. Ayant récupéré un peu plus tôt le paquet des bras de Kalia, il l'entreposa dans le coffre avant de poser un coude sur l'avant du véhicule.

- Avant de partir d'ici, tu as des affaires à prendre ?

Voila qu'il devenait prévenant, maintenant ! Il doutait toutefois que Kalia aie quelques possessions. Et en quoi d'ailleurs elles lui seront utiles à l'avenir. Mis à part la pierre philosophale, les Homonculus ne s'attachaient pas aux objets. Encore un détail qui les rendaient encore plus parfaits que les humains ; ils étaient indépendants, et peu matérialistes. Sauf Greed, mais cela faisait partie de son pêché.