Le vent soufflait sans relâche sur la colline. Il s’infiltrait partout où il pouvait, entre les tombes, dans les branches de l’unique arbre dénudé depuis la nuit des temps, dans les cœurs. Enfin, pas tous les cœurs en question. Car celui d’un certain commandant était immunisé contre toutes attaques sentimentales.

La plupart des militaires de Central s’étaient réunis aujourd’hui afin de mettre en terre l’un des leurs, un caporal sans grande histoire, mort pour sa patrie et pour la liberté des siens ... Cela, c’est la version officielle, celle que déclame l’un de ses camarades, debout devant le cercueil de bois verni, la main sur la poitrine et la bouche grande ouverte, comme s’il récitait une ode. Les connaissances du caporal, sa famille, ses amis, s’étaient donné rendez-vous pour lui rendre hommage une dernière fois. Les officiers, eux, étaient obligés de venir, pour donner une image plus fraternelle de l’Armée.

*Fraternelle ta mère, ouais ! Qu’est-ce que je fais ici, à me peler les miches, b*rdel !*

L’alchimiste d’état Jasdero faisait partie de ces soldats d’élite qui avaient pour devoir d’assister à ce genre d’événement funèbre. Rester droit, le regard digne, altier pour certains, assombri par le port de la casquette bleue, et ce, pendant deux bonnes heures. Cependant, on pouvait y trouver quelques avantages comme celui d’échapper un instant de sa vie aux raffuts de la caserne, aux champs de bataille sanglants et sans espoir, mais aussi de laisser ses pensées vagabonder, bien plus loin que l’arbre nu, bien plus haut que le ciel couvert, qui avait enfilé son habit funéraire. L’esprit de la jeune femme se contentait de rester dans les environs, scrutant tel un prédateur, chacun des militaires présents. Qui étaient-ils ? Qu’allaient-ils devenir ? A quoi pensaient-il en ce moment-même ? Peut-être l’inspectaient-ils également ? Peu importe. Aisya respectait les règles. Elle se tenait droite, un long manteau noir jeté sur son épaule droite, à la manière d'une ample cape, son écharpe pourpre claquant dans son dos, ses médailles somnolant sur sa poitrine, sa casquette enfoncée sur son crâne. La seule chose qui pût paraître négligée fut ses cheveux noirs toujours autant en bataille dissimulant ses yeux maquillés. Elle était l’une des seules femmes à qui on avait accepté qu’elle porte un pantalon au lieu des longues jupes réglementaires.

*'Manquerait plus que ça ?! Que ces bleusailles puissent apercevoir ne serait-ce qu’un bout de mes jambes ?!*

Cette force qui pouvait se manifester comme tranquille bouillait de courroux en son for intérieur. Mais que fallait-il attendre de plus de la part du Thunder Alchemist ? Elle ne voyait pas l’intérêt d’assister à ce genre de célébration. Ce type, elle ne lui avait jamais parlé ! C’était quoi son nom déjà ? Carter ... Un truc dans le genre ... Bref, les enterrements d’inconnus, ce n’était pas la tasse de thé du commandant qui dévisageait sans scrupule le cercueil que l’on déposait dans la fosse creusée à cet effet.

Lorsque ce fut son tour de jeter une poignée de terre sur la surface plane en bois, elle s’adressa pour la toute première fois au défunt mentalement :

*Adieu bleusaille ! J’espère au moins que t’as pas fait de bêtises !*

Non, Aisya n’était pas figée comme la glace. Le commandant était un nuage électrique. Le genre de nuage que l’on trouve dans le ciel lors d’un orage. Un puissant orage. Oui, un nuage sombre, chargé de pluie et de foudre, qui n’attend qu’un signal pour déverser sa rage sur la terre. Et le signal, c’est Aisya qui le donnait. Là, résidait son alchimie. La jeune femme réajusta son manteau sur son épaule et ne put s’empêcher de laisser échapper un profond soupir. Ses yeux se voilèrent, à mesure que la cérémonie suivait son cours. Ces derniers temps, elle n’avait pas vraiment eu l’occasion de dormir une nuit complète et elle prenait la mauvaise habitude de finir ses heures de sommeil inachevées la journée dans son bureau, lors des pauses qui se raréfiaient à cause des événements : le cas Hasashi, la chasse à Scar et Lin, sans parler de la fuite de Bagwell. Le commandant avait là trois dossiers loin d’être bouclés. A croire qu’elle prenait un malin plaisir à s’engager dans les plus grosses affaires. Mais l’inactivité tuait l’officier. Cela faisait partie de ses devoirs.

Des bruissements de pas dans l’herbe. Un souffle mesuré. Un parfum du sud. Pas de doute, Richard s’était approché d’elle. L’alchimiste ouvrit un œil et le considéra sans grand étonnement. Il lui offrait timidement un sourire prometteur. Devinait-il ses pensées ? Peu importe. En y réfléchissant bien, cela faisait des siècles qu’Aisya n’avait pas ressentis contre elle la chaleur du corps d’un homme. Non pas qu’elle avait des vues sur le soldat, au contraire, c’était bien lui qui rêvait d’elle chaque nuit. Non, Aisya était seule. A croire qu’elle l’avait toujours été. Cela faisait-il aussi partie de ses devoirs ? Non, c’était un choix. Pénible et difficile à prendre. Seules les personnes du cran de la jeune femme en avaient décidé ainsi.

Un picotement. Une légère douleur à sa joue droite. Elle passa nonchalamment deux doigts sur le pansement qui lui raturait la peau. C’est là qu’une imposante silhouette apparut dans son champ de vision. Elle bifurqua son regard ambré sur la gauche et distingua une immense armure qui dominait la foule condensée en ces lieux. Qui était-ce ? Ah, oui. Encore l’un de ces jeunes alchimistes de génie qui s’était mis en tête d’entrer dans l’Armée pour défendre une noble cause perdue. Pour oublier son passé. Ou, dans le cas d’Alphonse, de le réparer.

*Alphonse Elric, le frangin du nain rouge ... Ouais, c’est bien ça ...*

Elle le dévisagea, oubliant un moment pourquoi elle se trouvait là, droite et fière comme une tour de cathédrale. Ses yeux mordorés le transperçaient impitoyablement comme si ce regard dût être pour l’armure, une véritable torture. Aisya semblait perforer le blindage de métal et inspecter sans relâche la marque de sang, par le seul moyen de ses prunelles cuivrées. Malgré l’absence totale d’expression sur son visage, le garçon paraissait attristé par le décès du caporal. Aisya, elle, n’y pensait même plus. Ainsi donc, c’était vrai : même à côté d’une armure sans expression faciale, le Thunder Alchemist pouvait passer comme un monstre dénué de sentiment ? Le stoïcisme du commandant en glaçait plus d’un. Non, en électrocutait plus d’un. C’est ce que Théodore lui disait ... autrefois ...

[Flash-Back]

-« Rien à faire. J’ai beau te raconter sans cesse les pires atrocités, quand tu as décidé de rester austère, tu le restes ... »

-« Cela fait partie de mon entraînement afin de devenir alchimiste d’état. »

-« Evidemment ... Tu sais, des fois, quand je te vois, tu me fais penser à un meuble ... une sorte de ... de chaise. Sans âme, ni esprit. Maintenant que j’y repense, on pourrait facilement t’assimiler à une chaise électrique, n’est-ce pas ? Ton impassibilité doit en foudroyer plus d’un ... »

-« ... »

[Fin du Flash-Back/]

Voilà. Tout était dit. En ce moment, au milieu du cimetière, encerclée par des âmes en peine, une chaise électrique attendait que ça se passe. Imperturbable instrument de mort devant le corps sans vie d’un homme qui aurait pu mourir sur elle. Car elle portait sur son dos de nombreuses vies. Et de nombreuses morts ... Et cette armure ? Qu’en était-il ? Avait-elle elle aussi le sort d’innocent au sein de sa carapace d’acier ? Peut-être. Ou pas. De toute façon, le mal était fait. Quelques personnes bougèrent. Aisya en profita pour se glisser à quelques mètres d’Alphonse, son regard toujours aussi brûlant.

-« Qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ? T’as un problème ? » lui chuchota-t-elle sévèrement.

La chaise électrique se rebrancha ...

Mort dans l'exercice de ses fonctions. Parlez d'une mort a la con ! Mieux vaut mourir de vieillesse, non ? Enfin... Avec un peu de chance n'avait-il pas trop souffert.
La chimère, en tant que simple soldat, n'aurai pas dû être ici. Mais on l'avait désignée comme faisant partie de la garde rapproché pour aujourd'hui. C'est épuisant, vous savez ? De devoir toujours rester a l'affut, toujours sur le qui vive... Mais bah, Léthéo se remontait le moral en pensant a la cuite qu'elle se prendrait ce soir. Parce que demain... Elle partait pour deux jours de congé ! Deux jours pour dormir et se saouler, le bonheur !
Elle se mit à rêvasser, pensant a ce qu'elle ferait d'autre de ses congés. Elle se força a revenir a la réalité. Si elle oubliait son boulot, et qu'un des hauts gradés se faisait dessouder, elle pouvait leur dire adieu, a ses vacances, ainsi qu'aux suivantes !

Une rafale de vent la fit frissonner. Parlez d'un temps de chiottes pour se faire enterrer ! La militaire soupira. Elle ne le connaissait même pas, ce type ! Normal, vu le nombre de personne qu'il y avait au QG de Central, mais... Comment voulez vous être triste de la mort d'un homme que vous n'avez jamais rencontré ? Impossible pour Léthéo. Sa peine, elle la mettait de coté pour ceux qu'elle aimait vraiment... C'est a dire... Personne ?
Voyons voir... Elle ne savait pas ce qu'était devenu son père, et elle s'en fichait, et en quelques années d'existence a centrale, n'avait lié aucune véritable amitié. A désespérer. Sans doute serait-elle un peu triste de la mort d'un de ces collègues ou d'un de ses compagnon de beuveries, mais c'était tout. Aucun vrai gros chagrin a l'horizon.

*Bah, comme ça je n'ai a craindre pour personne... Quand vos veines charrient un sang froid, il faut s'attendre a avoir le cœur un peu glacé, je suppose.*

Encore un gros soupir. Elle regarda autour d'elle, et son regard fut attiré par une grande armure. Koiça ? Il y a des militaires qui se trimballent en armure ? Et a coté de l'armure... Une jeune femme ? Plutôt belle, dans le genre... Belladone. L'instinct reptilien de Léthéo lui fit sonner la trompette d'alarme. Cette femme était dangereuse. Chacun de ses gestes semblait une promesse de mort douloureuse.
La jeune chimère se raidit, et décida de ne plus lâcher cette femme des yeux. Danger, danger, danger, lui serinait une petite voix au fond de son crâne.

L’armure s’était réduite en silence. Elle ne feignait pas à sa réputation. Alphonse Elric était aussi posé que son frère était hargneux. La glace et le feu. Et ils étaient frères ! Ça c’était le meilleur ! Aussi loin que remontait ses souvenirs, Aisya n’avait pas eu de frère ni de sœur. De toute manière, elle ne l’aurait pas supporté. Déjà que ses parents, ça n’était pas encore ça ...

*Etais-je donc enfant unique ? Pourtant, je suis persuadée d’avoir eu un frère ... C’est fou à quel point on oublie vite certaines choses !*

Elle ne s’inquiétait pas comme elle aurait dû. Contrairement à ce qu’elle pensait, c’était inimaginable d’oublier ses liens de parenté. Elle n’était pas si vieille après tout ! Un humain normalement constitué et bien pensant serait aberré par si peu d’humanité. Elle méritait bien son surnom peu avenant de « chaise électrique ». Jamais elle n’avait insinué vouloir devenir plus humaine, juste dépendante, voilà tout. Mais avez-vous déjà vu une chaise pensant par elle-même ? Non, bien évidemment. La cérémonie touchait à sa fin. Déjà, quelques alchimistes et autres officiers s’éloignaient. Il ne restait autour de la pierre tombale que quelques proches soldats. Richard faisait partie de l’un d’eux. Même si elle le connaissait mieux que n’importe quel autre officier, Aisya ne bougea pas d’un pouce et ne fit rien pour le consoler. De toute manière, elle n’avait jamais essayé. Parfois, elle observait les autres le faire et chaque fois, c’était un spectacle déconcertant, si ce n’était pour dire risible :

Soit ils réussissaient et ça finissait en fin digne de contes de fée, soit ils n’y arrivaient pas et se contentaient de dévisager la personne inconsolable avec un air de chien battu.

*Tu m’étonnes qu’on nous surnomme les chiens de l’Armée ! Avec de telles lavettes dans nos rangs !*

Elle rit méchamment intérieurement et se recula. En dégageant une mèche de cheveux barrant sa vue, elle remarqua qu’un soldat la dévisageait, et ce, depuis un bon bout de temps déjà.

*C’est un garçon ou une fille ? Impossible de savoir ... C’est qui encore ce cassos ?*

Ce militaire était l’un des seuls dont elle ne connaissait pas le nom. Elle le considéra avec désinvolture, ses yeux ambrés transperçant le soldat non identifié. Elle s’approcha à grands pas de la jeune personne et la toisa du haut de son statut d’alchimiste d’état. Elle appuya contre sa hanche son poing qui n’était pas recouvert du manteau, seulement du gant d’alchimie. Elle arqua un sourcil et demanda, en sifflant tel un serpent entre ses dents :

-« Dis-moi bleusaille, qu’est-ce que t’as à me sonder comme ça ? Ma tête ne te revient pas ? A moins que je ne te fasse peur ? »

Ce genre de questions, elle les posait à chaque nouveau soldat qu’elle rencontrait. Restait à voir maintenant si Léthéo avait eu vent des rumeurs concernant le Thunder Alchemist.

[Post pourrit désolé mais j'essaye de relancer le Rp qui était un peu mort, Aisya me l'avait demandé]

Le cimetière était partagé par le bleu de l'armé et le noir de la famille.
D'un côté du cercueil, comme à chaque enterrement, les militaires quasiment tous présent. Ils étaient tous là, droits, plus ou moins touchés par la mort de leur confrère.
De l'autre côté, la famille, souvent habillés en noir en signe de deuil. Les proches de la victime se réconfortaient entre eux tant qu'ils le pouvaient. Beaucoup étaient face au cercueil, le mouchoir à la main.
Les plus hauts gradés qui étaient là présentés leurs condoléances à la femme, la mère, les amis, enfin tous les proches du défunt.
Shoyo qui depuis le début de la cérémonie était un peu à l'écart décida alors de s'avançait un peu.
Il remarqua alors la présence d'Alphonse Elric, la tête baissait, malgré son armure qui lui servait de corps on pouvait distinguer de la tristesse.
Il remarqua aussi une femme, qui avait l'air plus gradé que Sho. Elle avait l'air froide, dur voir hautaine. Elle dévisageait Alphonse et un homme à côté d'elle.
Puis elle commença à scruter les environ, Sho essaya de suivre son regard mais, avec toute la foule présente, il ne voyait pas qui elle regardait.
Puis, la femme avança et s'arrêta devant une personne, de-là, Shoyo ne pouvait remarquer si la personne était féminine ou masculine, mais une chose est sûr, elle se faisait provoquer par l'alchimiste.
Shoyo, qui avait horreur des conflits entre militaire de la même armé décida de s'avançait discrètement, en passant derrière la foule.
Il était sûr qu'il interviendrait en cas de début de bagarre. Ce n'était ni le moment ni l'endroit pour régler leurs diffèrents. De quoi aurait l'air l'armé si des soldats se battent le jour d'un enterrement de leur ancien collègue, devant la famille du défunt?
Il était donc là, à observer le déroulement de la conversation des deux soldats...

L'enterrement était maintenant bel et bien fini. Aisya ne souhaitait pas s'attarder plus longtemps ici, entourée par une multitude de bleusailles en tout genre. Elle jeta un dernier coup d'oeil sur la nouvelle tombe qui venait de sortir de terre, rajusta son manteau tel un souverain et s'éloigna. Le vent grondait toujours. Au loin, sur la campagne, avait éclaté un orage. Elle entrevit un éclair et sourit. Sourire passagé de la chaise électrique qui ne quitta pas le cimetière. Elle dirigea ses pas dans d'autres allées. Ce lieu était bien triste : rien d'étonnant pour un jardin des morts ! Non, il était triste de par sa sobriété. Peu de tombes étaient fleuries. Abandonnées. On avait beau pleuré toutes les larmes de son corps les premiers jours, quelques années après, les bruyères et les lys blancs avaient fanés et séchaient maintenant sur les stelles, prêts à prendre leur envol comme des âmes vagabondes. C'était peut-être pour ça que l'on pleurait tant ? On pleurait parce qu'on savait qu'on allait oublier ?

Le colonel s'arrêta devant une tombe au hasard et y resta un long moment. Qu'est-ce qu'éprouvaient donc ceux qui avaient perdu un être cher ? Les Elric par exemple, ils avaient perdu leur mère, n'est-ce pas ? Comment se sentaient-ils en allant sur sa tombe ? Avaient-ils seulement le temps d'y aller ? Oui, s'ils le voulaient, ils le pouvaient. Pourquoi ? Pourquoi tous ces gens tant frappés par leur histoire continuaient-ils d'avancer ? Où trouvaient-ils la force ? La force de vivre. C'était cela qu'Aisya aurait voulu savoir ; car elle avait beau être une lumière en alchimie et en stratégie militaire, elle se posait depuis son plus jeune âge, des tas de questions sur le sentiment humain, comme si elle ignorait tout de l'Homme.

Elle avait beau avoir l'air d'une femme épanouie, Aisya était aussi cette enfant, cette enfant seule dans la chambre. Cette enfant bercée par les bruits des explosions et les pleurs humains.

L'humain.

Jasdero perçut un bruissement dans l'herbe. On s'approchait d'elle. Etait-ce Richard ? Non, elle l'avait vu partir un peu plus tôt. Elle ne regarda pas sur le côté mais leva son visage hâlé vers le ciel gris.

-"Tiens, Fullmetal, qu'est-ce que tu fais ici ? Toujours à courir après les morts ?"

-"Et tu cours après quoi au juste ?" demanda-t-elle dans un soupir décontenancé, le regard toujours levé vers le ciel, comme pour se moquer du Fullmetal, lui si proche du sol.

Aisya ne portait pas Edward dans son coeur et n'était pas la seule. Non pas qu'Elric était détesté au sein de l'armée, mais il avait tendance à n'en faire qu'à sa tête. Il fallait simplement voir son immonde manteau rouge éclaté aux yeux des morts et de leur famille, tous de noir vêtus. Il n'en faisait donc qu'à sa tête et personne ne lui disait rien. A croire que le décès de sa pauvre mère était évident ! On devait le corriger, ce gosse ! Sinon, il était capable de détruire toute l'armée à lui tout seul.

Détruire l'armée.

N'était-ce pas cela qu'Aisya souhaitait justement ? ... Edward lui serait-il utile ? Un enfant ? Utile à sa conquête du pouvoir ?

Un enfant.

En vérité, Aisya ne faisait pas partie de ceux qui n'aimaient pas le Fullmetal. Elle faisait partie de ceux qui le voyait comme un gosse, et non comme un alchimiste d'état. Bien évidemment, ça ne parvenait même pas à effleurer son esprit militariste et méchant. Pour elle, elle ne l'aimait pas, un point c'est tout.

Mais quelque chose ne collait plus.

Si elle le détestait, pourquoi, pourquoi ressentait-elle cette inévitable envie de lui parler ? De lui parler de tout ce qu'elle avait découvert, ces derniers temps. Elle savait bien qu'il était l'un de ces jeunes en quête de rédemption, mais elle n'imaginait pas encore que cette redemption pouvait avoir la forme et le nom de la pierre philosophale. Et pourtant, toutes ses découvertes s'amoncelaient sur le bord de ses lèvres peintes, prêtes à dégouliner sur son visage et à noyer le garçon. Garçon célèbre au sein du QG mais avec qui ses échanges étaient très limités. La dernière fois en date, elle ne lui avait que des remontrances. Une fois de plus. Telle une mère à son fils. Mais imaginez-vous bien qu'Edward ne voulait d'Aisya comme mère, et vice-versa.

Et si ...
Et si elle essayait pour une fois, une seule fois, de le considérer comme un alchimiste talentueux, quelqu'un du même rang qu'elle (ou presque, elle était colonel à présent). Juste cette fois. Afin de voir ce que ça faisait de se confier à plus petit que soi. Il avait beau être impulsif et hyper-actif, la sagesse juvénile d'un enfant ayant connu le pire émanait de sa silhouette menue.

Finalement, Aisya deigna poser un regard mordoré sur lui, arqua un sourcil et reprit :

-"Peu importe après quoi tu te tues à courir, Fullmetal, j'ai l'impression que ce que je vais me forcer à te dire va t'intéresser. Ce sont les genres de choses qui intéressent les plus insignifiants humains en ce monde ..."

Ainsi qu’Edward le pressentait, ce qu’Aisya voulait lui raconter avait un lien indirect avec Ayame. Mais pour le moment, l’alchimiste de foudre était loin de se soucier qu’Hasashi avait déjà eu l’occasion de discuter avec le Fullmetal. Cependant, elle n’était pas sans savoir que les deux jeunes gens entretenaient une relation amicale. En même temps, ils ne se ressemblaient pas que physiquement, ils étaient tous les deux aussi têtus et aussi fiers que de jeunes coqs. Si Aisya avait laissé son imagination vagabonder un peu, elle les aurait facilement imaginé frère et sœur ou alors ensembles. Sauf qu’Ayame était bien plus vieille que lui. Pas besoin de voler discrètement un rapport à son sujet pour le savoir. Ce souvenir inutile vint effleurer son esprit alors que les premières gouttes s’écrasaient par terre, telles Icare après s’être brûlé les ailes. Edward avait l’air plus qu’étonné que le colonel lui adresse la parole, surtout pour lui annoncer qu’elle avait des choses intéressantes à lui dire. Aisya n’était pas du genre à converser avec un tiers. Elle préférait de loin passer directement à l’action, et seulement après poser les questions. A Ishbal seulement, elle n’avait posé aucune question. C’était sûrement ce comportement puéril qui la différenciait d’aujourd’hui. Elle toisa légèrement le jeune garçon de ses yeux cuivrés : il n’avait pas connu le génocide, n’est-ce pas ? Cela se voyait. Pas tant que ça pourtant. Des démons dansaient aussi dans les yeux d’Edward Elric. Mais d’où pouvaient-ils bien venir ?

Tout comme Lin qui avait fusionné avec Greed, Edward était de ces enfants qui à l’aube de leur vie, ont déjà connu le pire. Et c’était très certainement cela que Jasdero leur reprochait. S’inquiétait-elle pour eux ? Ou éprouvait-elle de la jalousie, elle qui avait dû battre des bras et des jambes pour atteindre une ébauche de son objectif qui fut de connaître l’enfer ? A moins qu’au contraire, elle n’aime pas la façon dont Edward se vantait justement d’avoir tout vécu alors qu’il avait manqué l’essentiel de l’horreur qu’était le conflit ishbal. Mais on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas être né à temps. Cela étant dit, maintenant, il était là et elle s’était lancée. Plus question de faire marche arrière, même si elle n’en avait pas l’intention. Une fois le taureau lancé, on ne l’arrête plus. De même avec la chaise électrique. Les condamnés l’occupent jusqu’à ce que mort s’ensuive.

La pluie redoubla d’intensité. L’orage arrivait sur la ville. Le cimetière était presque vide. Le mort était oublié. Edward proposa à sa supérieure de rentrer. Réajustant sa casquette de cérémonie, Aisya acquiesça :

-« Tu as raison, Fullmetal. Rentrons avant que je ne court-circuite toute la ville … »

Humour noir ? Plaisanterie dite à l’attention du nouvel arrivant au jardin des morts. Aisya ne l’avait pas oublié, ce soldat inconnu qui justifiait sa raison d’être ici. En sortant du cimetière, ils passèrent tous deux devant sa tombe fraîchement creusée et croulant sous les fleurs et les déclarations d’amour. La jeune femme y posa les yeux et déclara à mi-voix :

-« Adieu bleusaille ! Puisses-tu au ciel changer de couleur ! »

Ses bottes claquèrent au sol. Son manteau fouetta l’air. Son rire s’éleva aux cieux. La pluie enveloppa leurs silhouettes et les avala comme la Vérité l’avait fait de son jeune subordonné …

[Je te laisse commencer dans un autre endroit, okay ?]