C'était lors d'une de ces nuits humides, à l'époque de l'année où la neige s'était mise à fondre et laissait plaçe à une nature protégée du froid par le froid lui même. Sous les amas restants de neige se trouvait une herbe encore verte, qui avait sagement passé une saison sous quelques centimètres d'eau solide, attendant patiemment le retour de ce cher Soleil pour pouvoir resplendir à nouveau. En un sens, Tybert se sentait comme un brin d'herbe en hiver; les deux étaient certes en vie, mais ils attendaient quelque chose qui pourrait leur permettre de vivre pleinement.
L'Alchimiste avait profité de quelques jours de permission pour rendre visite à des amis d'enfance de Rivière qui eux aussi avaient tenté l'aventure à Central. Il fallait dire que bien des gens seraient séduits à l'idée de tout abandonner pour partir défier le destin dans la plus grande ville du pays. Cette réunion d'anciens camarades avait eu lieu chez Daryan, un ancien comparse de Tybert avec qui il prenait plaisir à faire tout ce que les grandes personnes les défendaient de faire à l'époque. Daryan avait quitté Rivière quelques années de cela, et avait ouvert un restaurant où l'on y servait des repas composés de plats typiques de Rivière. C'est là qu'il y rencontra sa femme Donna, qui donna naissance à son fils Jean. Il avait perdu sa soif d'aventure en échange d'une vie heureuse.
La soirée se déroula très bien, l'ambiance et la nostalgie étaient au rendez-vous. Chacun racontait ce qu'il était devenu, comment il était arrivé à Central. Tybert n'avait rien à raconter, premièrement car toutes les personnes présentes ce soir là savaient qu'il était devenu un Alchimist d'Etat, et deuxièmement car ces même personnes savaient aussi ce qu'il était advenu d'Isaac. A vrai dire, personne n'avait envie de s'adresser à Tybert de cette manière:
" Dis donc Tybert! Tu nous racontes l'histoire de ton frangin terroriste? "Il ne s'agissait pas d'un sujet convenable à une telle soirée de retrouvailles. Cela dit, malgré ce malaise au sujet d'Isaac, Tybert trouva la soirée très agréable, il passa un bon moment. Daryan, son ami d'enfance, lui offrit même un briquet de luxe.
Lorsque le temps fut venu pour les convives de s'esquiver, Tybert suivit le groupe pendant quelques instants, et du s'en séparer afin de prendre le chemin du studio modeste dans lequel il vivait. Une fois seul, il s'alluma une cigarette qui lui permit d'inaugurer le présent que lui avait fait le restaurateur. Seuls les belvédères éclairaient sa route à une heure pareille.
Fatigué, Tybert se décida à emprunter un raccourci sous la forme d'une série de ruelles d'arrière boutique. A son âge, avoir peur de tels endroits serait assez risible.
A l'angle de deux rues coupe-gorge, une discussion intrigante vint aux oreilles de l'Alchimiste. Cela dit, il se trouvait trop loin pour entendre clairement de quoi il était question. Il pouvait distinguer quatre à cinq personnes. Piqué de curiosité, Tybert se colla à un mur et épia discrètement le groupe d'individus. C'étaient en effet une poignée d'hommes aux airs de truands, tous armés, allant de la matraque au pistolet. L'un deux prit la parole.
" Demain à l'aube, un train part pour Rush Valley, on se retrouve à la gare. Prenez tous une valise, on fera assembler les auto-mail là-bas. "Des auto-mail? Voilà qui était bien étrange, de tels hommes semblaient prendre beaucoup de précautions pour si peu de choses. A moins qu'il ne s'agisse d'auto-mails vendus au marché noir. C'était un commerce en pleine explosion; avec les guerres civiles récurrentes et la recrudescence du crime organisé, vendre des auto-mail de guerre pouvait rapporter gros. Tybert ne pouvait rester là à rien faire, mais son statut d'Alchimiste ne faisait pas de lui un justicier. De plus, il était fatigué, et souhaitait rentrer chez lui le plus tôt possible.
Alors qu'il s'apprêtait à rebrousser chemin, sa fatigue l'empêcha de faire attention à la flaque d'eau dans laquelle il posa son pied. Le soucis n'était pas de se mouiller, mais cet acte involontaire eut pour effet d'alerter les truands de la présence d'un être indésirables. Ceux-ci se retournèrent vers Tybert.
" Hey! T'es qui toi? "Tybert n'avait pas le choix, il devait agir, quitte à passer outre les limites imposées par son grade. Au lieu de s'enfuir, il décida de se présenter aux truands. Cigarette en bouche, il sortit d'une poche de son manteau sa montre à gousset qui lui avait été confiée le jour de sa réussite à l'examen d'Alchimiste d'Etat pour la brandir aux quidams.
" Major Tybert McDougal, Alchimiste d'Etat. Lâchez vos armes et montrez moi vos papiers immédiatement. "
Bien évidemment, pas le moindre de ces hommes ne prit les instructions de Tybert au sérieux. L'un d'eux prit même la parole.
" Mc Dougal? Alchimiste? Dis donc c'est une tradition dans ta famille de mourir ici?! "
De toute évidence, ces trafiquants savaient quelque chose au sujet d'Isaac que Tybert ne savait pas. Son frère aurait été tué au même endroit où Tybert se trouvait ? Ces individus étaient désormais passés du rang de personnes à arrêter au rang de personnes à interroger, puis à arrêter, il ne pouvait pas les laisser filer, et par chance, ils n'en avaient apparemment pas l'intention.
" Je te demande pardon? Tu parles d'Isaac McDougal? L'Alchimiste de Glace? "
" Exactement! Il est mort dans cette même ruelle! C'est son sang qu'il y a sur ces murs! Héhé, et dans pas longtemps il y aura bientôt le tien. "Il s'agissait là d'une information à la fois importante et futile. Importante car désormais, Tybert connaissait le lieux exact où son frère fut tué, futile car c'était une information qui en elle même ne le faisait pas beaucoup avancer. Mais l'heure n'était pas à la réflexion, car apparemment les trafiquants d'auto-mail s'étaient décidé à se débarrasser de l'Alchimiste. En effet, ceux disposant d'armes à feu ne s'étaient pas fait priés et commencèrent à lui tirer dessus. Les autres se mirent à sa poursuite. Tybert se mit alors à courir jusqu'à avoir pris suffisamment de distance pour avoir le temps d'user d'Alchimie. Il colla alors ses mains l'une contre l'autre, et peu à peu la visibilité diminua, et une brume épaisse apparut dans les ruelles qui à l'origines étaient dépourvues de tout brouillard.
Tybert eut alors juste le temps de s'accroupir, et entendit les criminels s'étonner de la purée de pois dans laquelle ils étaient désormais plongés.
" C'est quoi ce foutoir? Y'avait pas de brouillard tout à l'heure ! "
Aussi bruyant que des cochons, les truands facilitèrent la tâche de Tybert, qui put alors les localiser avec une aisance démesurée. En une poignée de secondes, il assomma chacun des criminels, un par un, à l'aide ce qu'il avait sous la main, à savoir leurs propres armes. Il avait remarqué qu'une erreur commune lorsque l'on se trouve dans un espace à visibilité quasi-nulle, l'on a tendance à se concentrer sur ce qu'on essaye de voir, et qu'on oublie donc de tenir fermement ce qui nous permet de nous défendre. Tybert avait presque tout appris en autodidacte.
Une fois qu'il avait maté cette dérisoire bande de criminels, Tybert contacta la police à l'aide d'un téléphone public, leur indiquant les lieux du crime. Il se mit ensuite en route vers son domicile, ces trafiquants lui avaient volé une demi heure de sommeil, demi-heure pendant laquelle il en apprit plus sur ce qui était arrivé à Isaac.