Le soleil n’était même pas encore levé que des détonations se faisaient déjà entendre sur le stand de tir. Eclairé par des lampes à gaz, ma vision était d’une dizaine de mètres. Suffisante pour que je distingue parfaitement le cœur de mes cibles. Mes pistolets déchargent leurs salves de plomb, remplacées pour ne pas les gâcher par des balles de peinture. Chaque objectif atteint m’arrache un micro sourire s’effaçant rapidement pour plus de concentration. Avec mon casque orange sur les oreilles, je n’entends rien d’autre que les battements de mon cœur, un rythme régulier et calme que j’apprécie plus que tout autre chose.
Black Hayate est maintenant habitué à l’assourdissant bruit des balles et dort un peu plus loin. Enfin, toutes mes munitions épuisées, je garde encore un moment ma position de tir avant de baisser mes bras. Je contemple l’ampleur des dégâts. Pas une seule cible ratée, comme d’habitude. Je m’éponge le front d’une serviette posée sur un banc et m’empare de ma bouteille d’eau. J’en passe également sur mon visage et laisse le vent me rafraîchir.
L’automne arrivait. L’air était plus frais et les nuages devenaient gris. Bientôt, dans une heure ou deux, la pluie purifiera la cité. Et le Colonel se retrouvera démuni. Je soupire. Encore une journée à cran avec un chef impuissant. Au moins finira-t-il sa paperasse…Ou pas. Nouveau soupir.
Havoc passe devant moi, son fusil négligemment posé sur son épaule. Il me salut d’un geste de la main et va se mettre en position, prêt à faire feu. Je remets mes protections sur les oreilles alors qu’il appuie sur la gâchette. Il ne rate pas une seule cible, tout comme moi. Nous nous entendons bien, partageant le goût des armes à feu et des entraînements matinaux. On peut dire que c’est mon compagnon d’arme, bien qu’il soit plus âgé que moi. Bien qu’il fasse l’imbécile de temps à autre, il est calme et reposant.

« Alors Hawkeye, on se repose sur ses lauriers ? »

Sauf aujourd’hui.
Je lui montre mes chargeur vide et lui tend un verre d’eau.

« Merci. »

Silence. Puis.

« On va avoir de la visite. De Briggs. Et ça ne va pas plaire au Colonel. »

Je fronce les sourcils. Briggs ne porte pourtant pas le Généralissime dans son cœur. Surtout pas avec le général de division Olivia Armstrong à sa tête.

« Il a l’air plutôt d’être fidèle, du genre bon chien-chien.
-On l’est tous.
-Certes. Mais un je ne sais quoi en lui me fait penser que lui plus encore.
-Tu l’as déjà vu ? »

Il opine de la tête.

« Tu verras par toi-même. »

Il me laisse. Je profite encore un peu du calme et de la tranquillité des lieux puis me décide à partir. C’est à ce moment-là que j’aperçois une silhouette aux cheveux blanc entrer dans la salle…

« Il n'arrivait pas à dormir. Cela faisait des jours et des jours que la bête le traquait, il était à bout de forces, épuisé, mais il était incapable de fermer l'oeil. C'est ainsi que... »

Detsien soupira et leva les yeux du livre qu'il s'efforçait de lire. Un vrai navet en l'occurrence. Le personnage principal se faisait poursuivre par une espèce de chat géant avec des tentacules, dans la neige, en manches courtes, et sa petite amie était tombée dans un éboulement. Ce dernier point n'aurait cependant pas mérité d'être relevé si le précédent voisin du sous-lieutenant ne lui avait pas sorti dans une vaine tentative d'engager la conversation : « Vous êtes déjà arrivé au passage où on se rend compte que la fille est pas morte ? ». Detsien avait répondu par un regard noir, et le type avait changé de wagon. Dans sa cabine ne restait alors plus que trois personnes : une jeune fille qui semblait lui lancer de temps à autre des regards appuyés (mais étant donné la paire de lunettes qu'elle avait déposée sur son accoudoir, elle ne voyait certainement même pas à qui elle adressait ces regards), un vieil ivrogne presqu'aussi dévasté que ce qui lui servait de manteau (le militaire se demandait comment il avait pu monter dans le train, et s'il avait même la moindre idée de leur destination), et lui-même, Detsien Lysheart, sous-lieutenant éclaireur de l'armée de Briggs, « chargé d'une mission de la plus haute importance ». Comme d'habitude.

A bien y réfléchir, cela devait faire plus de trois mois maintenant qu'il n'avait plus été envoyé dans le nord en tant qu'éclaireur, ce qui était quand même sa spécialité et l'environnement qui lui permettait de développer au mieux ses capacités... Au lieu de ça, on le chargeait d'escorter un général de la gare au QG, d'escorter un commandant à Central pour se faire poser un automail clandestinement, et d'escorter... Un message. Celle-là, on lui avait jamais faite quand même.
Apparemment, ses officiers supérieurs ne semblaient pas connaître le téléphone, puisqu'ils avaient chargé le sous-lieutenant de transmettre un morceau de papier plié en quatre « au colonel Roy Mustang en personne ». Avec interdiction de l'ouvrir bien entendu.

Le militaire ne prit pas la peine de placer un marque-page pour refermer son livre d'un geste sec. « Recommandé par l'auteur des 'Deux tours du paradis' ! » pouvait-on lire sur la quatrième couverture. Il prit note mentalement de ne jamais acheter l'ouvrage mentionné, puis tapota nerveusement sur la reliure du volume. La tentation de lire le message était grande, ne serait-ce que pour savoir ce qui justifiait que l'on envoie un sous-lieutenant entraîné au corps-à-corps à l'autre bout du pays... Sauf qu'il ne pouvait pas. Il n'en avait pas le droit.
Il porta machinalement sa main droite au niveau de son torse, et tâta la poche intérieure de son manteau où était rangé l'objet de sa mission. D'un autre côté, qui saurait s'il l'avait lu ou non ? La réponse ne tarda pas à se présenter : lui. Il avait toujours suivi tous les ordres scrupuleusement, à la lettre, et il ne comptait pas changer maintenant. Le colonel aurait son papier, et voilà tout.

A condition qu'il accepte de le recevoir cependant... Briggs n'était pas exactement en odeur de sainteté avec Central par les temps qui courraient, et permettre à un soldat du nord de s'entretenir avec un colonel sur la seule affirmation qu'il avait un message à lui transmettre ne semblait pas si évident que ça. Ce qui était évident par contre, c'est que Detsien ne laisserait pas le message à un subordonné. Il avait reçu des ordres, et il savait être têtu... D'un autre côté, s'il s'avérait que le message soit en fait une plaisanterie, ses jours risquaient de se trouver sérieusement écourtés. On racontait que le colonel Mustang pouvait carboniser sur place le moindre type qui le regardait un peu de travers dans un couloir... Même si Detsien n'était pas des plus enclins à croire à cette légende, il y avait une certaine marge de sécurité à prendre dès lors qu'il s'agissait d'alchimistes...

La voix dans les hauts-parleurs du train tira alors le sous-lieutenant de ses sombres pensées, et il se leva pour attraper ses bagages placés au-dessus de lui. La jeune fille remit ses lunettes, lui sourit, puis fit mine de s'intéresser au livre qu'il tenait encore négligemment de la main gauche. Dès qu'elle eut réussi à déchiffrer le titre, elle esquissa une grimace de dégoût avant de s'engager dans le couloir en secouant lentement la tête. Detsien grogna de mécontentement, et tendit le bouquin à l'ivrogne, qui semblait-il n'avait pas compris que le train était arrêté. D'ailleurs il ne semblait pas non plus avoir compris qu'il était dans un train. Mais il remercia chaleureusement Detsien d'un « Toi t'es un pote ! », et s'empara de l'objet délicatement.
L'éclaireur de Briggs sortit du train.

Il fallut moins de cinq minutes à Detsien pour se perdre dans Central. Pourtant il connaissait le chemin de la gare aux quartiers de l'armée ! Et ça se disait éclaireur... Mais tout était différent en ville ; le meilleur guide de montagne pouvait se paumer en allant acheter du pain dans un quartier qu'il ne connaissait pas...
Pour arranger le tout, le ciel était carrément menaçant, et un orage risquait de lui remettre les idées en place de façon certainement un peu brutale à son goût. Il finit par ravaler son orgueil et se résigna à demander son chemin aux passants. Une vieille femme à qui il dut répéter cinq fois sa question lui indiqua enfin le sens à prendre, à savoir l'exact opposé de sa précédente direction. Toujours est-il qu'il arriva enfin devant les immenses grilles qui s'ouvraient sur la gigantesque cour du complexe militaire, alors que les premières gouttes de pluie s'écrasaient sur ses épaules heureusement recouvertes du manteau de cuir noir dont il ne se séparait jamais.

Il salua les sentinelles présentes à l'entrée, et leur expliqua la raison de sa présence à la capitale. Les deux soldats l'écoutèrent d'une oreille distraite, avant de... refuser de le laisser entrer !

« Comment ça vous « n'avez pas le droit de laisser rentrer un civil armé » ? Je viens de vous dire que je suis un militaire !
_Ouais mais votre épée là, l'est pas réglementaire...
_Je suis éclaireur dans le nord, toute arme qui sauvegarde votre vie est « réglementaire »... Et puis je ne devrais même pas avoir à discuter avec vous ! Je suis votre supérieur hiérarchique ! »

Son plaidoyer ne semblait pourtant pas convaincre les deux gardes, qui abaissèrent leurs fusils de manière menaçante. Que faire ? Il n'allait tout de même pas se battre contre sa propre faction ! C'est alors qu'il sentit quelqu'un poser une main sur son épaule. Se retournant d'un geste vif, il tomba nez à... menton avec un grand blond en uniforme militaire, une cigarette à moitié consumée au coin de la bouche.

« Qu'est-ce qu'il se passe ici ?
_Je suis le sous-lieutenant Lysheart, de Briggs, je dois transmettre un message au colonel Roy Mustang !
_Hmm ? Donne moi ça, je transmettrai au colonel.
_Ma mission consiste à le remettre au colonel en personne. Je ne puis vous le confier !
_Bah c'est si important que ça ? Y a quoi dedans ?
_Je ne suis pas autorisé à le lire.
_Ouais mais tu peux prendre des initiatives non ?
_Je m'excuse mais mon rôle est de transmettre ce message sans le lire, et je compte bien accomplir ma mission !
_Houla du calme, de toute façon tu rencontreras pas le colonel avant d'être passé entre les mains du lieutenant Hawkeye...
_Le garde rapproché du colonel ?
_On peut dire ça oui...
_Et où puis-je rencontrer cet homme ?
_A cette heure-ci, elle doit être au stand de tir, je m'y rends justement.
_Très bien, je vous suis ! »

C'était sans compter sur les deux sentinelles zélées, qui, si elles convinrent que l'épée de l'éclaireur n'était pas une arme à bannir, voulurent s'assurer qu'il ne cachait pas une bombe sous son manteau. Se soumettant de mauvaise grâce à cette fouille, Detsien écouta les indications du grand blond pour se rendre au stand de tir. Il le regarda ensuite s'éloigner, tandis qu'un des deux gardes téléphonait à sa hiérarchie depuis un poste fixe à une dizaine de pas de là. Il revint près d'un quart d'heure plus tard, en annonçant que ses supérieurs autorisaient le sous-lieutenant à pénétrer dans l'enceinte du complexe.
Partant d'un bon pas dans la direction que lui avait indiqué le blond, Detsien maudit intérieurement les sentinelles qui lui avaient fait perdre inutilement du temps. Est-ce qu'ils contrôlaient tous les étrangers ainsi ? C'était insensé ! La longue épée fixée au niveau de son aine et qui dépassait de son manteau n'avait certainement pas été étrangère à leur zèle... Il aurait peut-être dû la laisser à Briggs, mais sans elle il se sentait démuni.

Il arriva devant le stand de tir une dizaine de minutes plus tard, pas très sûr de lui. Il resta un moment devant la porte du bâtiment, ne sachant s'il devait frapper ou pas, tendit l'oreille, mais ne capta aucun son. Prenant sa décision, il poussa finalement la porte et entra dans l'édifice. L'endroit était pratiquement désert, mais ça sentait la poudre à plein nez, et les douilles sur le sol prouvaient qu'il y avait eu de l'activité depuis le matin. Avançant prudemment le long des box de tir, il faillit s'étaler de tout son long en glissant sur une douille qui se déroba sous son pied. Il ne conserva son équilibre que grâce à un réflexe un peu inespéré, se rattrapant de justesse à une poutre de soutien d'un box. Se redressant en faisant mine d'épousseter son manteau, il regarda autour de lui dans l'espoir que personne n'ait remarqué cet épisode peu flatteur.

Ses yeux tombèrent sur une jeune militaire assise sur un banc, qui le regardait avec consternation. Pour la discrétion, c'était loupé... Il s'avança en prenant garde à ne pas renouveler sa mésaventure, et se plaça devant la jeune femme.

« Hum bonjour, commença-t-il. Je cherche le lieutenant Hawkeye, afin qu'il me conduise auprès du colonel Mustang. »

Il tapota la poche de son manteau, contre sa poitrine.

« Un message à lui transmettre... »

C’est à ce moment-là que j’aperçois une silhouette aux cheveux blanc entrer dans la salle et faillir se casser la gueule en beauté. Il ne doit son salut qu’aux poutres décidément bien pratique des box. C’était une espèce de rituel, pour reconnaître les petits nouveaux. Je me souviens qu’il m’était arrivé la même chose lorsque je pénétrais pour la première fois dans cet endroit qui devint bien vite mon refuge. Je n’arrive cependant pas à cacher entièrement mon amusement et les bons souvenirs affluant en moi. M’apercevant, il se dirige vers moi, un peu honteux mais se drapant dans son restant de dignité.

« Hum bonjour, commença-t-il. Je cherche le lieutenant Hawkeye, afin qu'il me conduise auprès du colonel Mustang. Un message à lui transmettre… »

Je l’observe de bas en haut, prenant soin de prendre mon temps. Il a le regard de Briggs, aussi glacé que la fonte de la neige, aussi imperturbable que les majestueuses montagnes présentent depuis des millénaires. Ses cheveux possèdent la blancheur surnaturelle des fourrures hivernales des espèces animales de là-bas. Un vrai loup, à l’affût du moindre geste menaçant. Un long manteau noir le recouvre des pieds à la tête. L’uniforme n’est-il pas censé être blanc pour se fondre dans les paysages hivernaux ? A moins que ce ne soit pour une raison que j’ignore.
Menaçant, tel un loup. Solitaire, il est intelligent et exécute les ordres à la perfection jusqu’à ce qu’un mouton isolé se retrouve à sa portée et là… Un petit coup de dent, du sang et puis s’en va. Du moins, telle est l’impression qu’il me donne. J’ai confiance en ses capacités de combat, il doit être connu et reconnu parmi les siens, un élément crucial dans une bataille. Mais je ne sais pas si on peut ou pas lui faire confiance. Je n’arrive pas à trancher.
Je jette un coup d’œil à ma montre. Midi. Parfait. Je me lève et l’enjoins de me suivre, l’entraînant dans une salle plus calme servant parfois de cantine. De temps à autre, l’équipe organise une espèce de déjeuner où nous mettons els choses au point. Généralement, je suis chargée de demander au Colonel plus de congé, moins de paperasse et du café à peu près buvable. Bien entendu, ça passe par une oreille et ça ressort par l’autre…
Mon arrivée est saluée par les autres membres ayant déjà attaqué leur déjeuner. Je m’assois à côté de Havoc. La venue d’un étranger à notre réunion est suivie d’un silence que je ne brise pas. Comme d’habitude, Fuery le salut d’un grand sourire et d’un signe de la main, l’invitant à prendre place à côté de lui ? Il se met à lui parler de la pluie et du beau temps pendant que Havoc et les autres me dévisagent. Je me penche vers Havoc et lui murmure :

« Je ne sais pas. Fais passer. »

Le message est clair. Le soldat de Briggs devra nous affronter avant de voir le Colonel. Falman se mouille.

« Alors…Rmm...Qui êtes-vous et que nous vaut le plaisir de votre visite ? »

Breda fait semblant de dormir depuis mon arrivée mais je sais qu’il a perçut bien avant les autres ce qui se tramait. Dans sa position, il peut analyser les faits et gestes de notre invité surprise et agir en conséquence. Nous sommes une équipe bien rôdée, le soldat de Briggs en prendra vite connaissance…Ou pas.

Elle ne répondit pas tout de suite. Un petit sourire flottant sur ses lèvres, elle l'étudia lentement, comme un chat détaille un oiseau. Le volatile peut s'échapper à tout moment, mais s'il a le malheur de manquer de vivacité, s'il commet la moindre erreur, le félin n'en commettra aucune lui. Detsien supporta cet examen en silence, tachant de détailler lui aussi la jeune femme. Elle avait dû s'entraîner plusieurs heures et pourtant sa respiration était calme et ses muscles ne semblaient pas tendus, preuve qu'elle avait plus que l'habitude de ce genre d'exercice. Les galons qui couvraient ses épaules juraient avec sa jeunesse et la présentaient comme une militaire terriblement efficace, mais c'est tout ce que le sous-lieutenant put tirer de son examen silencieux. Il n'était pas capable de cerner les personnalités d'un simple coup d'oeil, et ne s'était d'ailleurs jamais entraîné pour. C'était une voie qu'il n'avait pas suivie, pensant que ses missions nordiques loin de tout le dispenseraient d'avoir à jauger des humains. Mais où que l'on aille, quoi que l'on fasse, cela se révélait toujours une capacité intéressante finalement...
Il déposa discrètement sa main sur la poignée de son épée, plus pour se donner contenance qu'autre chose, avant de s'aviser que cela pouvait être interprété comme une menace. A vrai dire, il avait même adopté une posture de combat, sans vraiment le vouloir. Son corps avait simplement fait ce qu'il avait à faire devant quelqu'un de dangereux. Il essaya de se détendre, et délaissa son arme en attendant le verdict de la militaire.

Elle jeta un coup d'oeil à sa montre, puis se leva en lui faisant signe de la suivre. Allait-elle lui présenter enfin le lieutenant Hawkeye ? A moins qu'elle ne le soit elle-même... En ce cas, allaient-ils rejoindre le colonel Mustang ? Autant de questions dont il n'y avait qu'une seule manière d'obtenir la réponse : suivre la jeune femme. Ce qu'il fit, jusqu'à une pièce plutôt calme et dont l'ambiance semblait détendue. Des dizaines de personnes étaient attablées, mangeant avec appétit des plats plutôt simples mais qui firent saliver le sous-lieutenant. Il faut dire qu'il n'avait rien avalé depuis la veille au soir... Il repéra assez rapidement le grand blond avec qui il avait parlé à l'entrée des grilles, mais celui-ci ne lui accorda pas plus qu'un regard neutre.
La jeune femme prit place au côté du blond, justement, alors que Detsien entreprenait de décrocher le fourreau de son épée. Quel que soit le lieu, la culture et les personnes concernées, le repas symbolisait bien souvent un moment où l'on laissait tout de côté, et en particulier les armes. Il plaça donc la longue lame dans son étui de cuir contre un mur, et y déposa son manteau contenant son arme à feu par dessus.

Un homme plutôt jeune, ses cheveux noirs coupés courts ébouriffés lui donnant un air innocent, des lunettes posées sur le haut de son nez, décocha un grand sourire à l'adresse de Detsien. Celui-ci hocha la tête, appréciant cette attention, un petit sourire flottant sur ses propres lèvres. Il prit place sur la chaise que lui désignait l'homme, et parcourut l'assemblée du regard. S'il ne savait pas juger les gens, le soldat de Briggs percevait très bien les ambiances, ce qui flottait dans l'air et qui en disait souvent plus sur la situation que n'importe quel discours. Ici, l'ambiance était tendue. Pas lourde, il n'y avait pas de menace, mais un mélange de curiosité et de méfiance, qui apporta le fameux silence gêné, tant redouté dans les débuts de dîners.
Heureusement, l'homme, qui se présenta sous le nom de Fuery, commença à parler de tout et de rien, permettant à tout le monde de reprendre le repas. Il lui servit en même temps une portion de ragoût et l'invita à se restaurer en même temps qu'eux.

Detsien ne se fit pas prier, et attaqua son assiette avec appétit, même s'il garda un peu de retenue pour ne pas non plus passer pour un sauvage.

« Vous avez fait bon voyage ? Vous êtes arrivé en train, c'est bien ça ?
_Oui, j'ai bien pris le train. Quant au voyage, eh bien... sans le navet qui me servait de livre à passer le temps, il aurait pu être un brin meilleur !
_Ne me dites-pas que vous avez lu « Les deux tours du Paradis » !
_Hum je n'ai pas eu ce déplaisir, mais un autre opus du même auteur, et il semble qu'il n'ait pas vraiment amélioré son style...
_Haha oui nous sommes d'accord ! »

Fuery s'interrompit un moment pour écouter les quelques mots que son voisin de gauche lui glissa à l'oreille, et hocha la tête en silence. Detsien finit son assiette et déposa ses couverts sur le côté, attendant que son interlocuteur reporte son attention sur lui.

« Et pourquoi êtes-vous si loin de vos terres, éclaireur ? Car si je ne me trompe pas, outre le manteau, vos insignes vous désignent comme un officier éclaireur au delà de la forteresse...
_Vous ne faites pas erreur. Je suis ici pour transmettre un message en mains propres au colonel Roy Mustang, et je comprends aussi peu que vous le choix qui s'est porté sur ma personne.
_Avouez que c'est curieux... Et si vous aviez en réalité de mauvaises intentions au sujet du colonel ? Pourquoi nous ferions vous confiance ?
_Eh bien... Si j'étais un assassin, je pense que j'aurais recouru à des moyens un peu plus discrets que de m'adresser à tous ses subordonnés pour obtenir des informations à son sujet... Et puis je veux juste lui transmettre un morceau de papier, vous pourrez garder la totalité de mes armes et être présents si ça peut vous rassurer... »

Detsien prononça ces derniers mots en s'adressant à la jeune femme qui se trouvait de l'autre côté de la table. Si c'était Fuery qui avait posé la question, il était évident que ce n'était pas à lui qu'appartenait la décision finale. Il ne lui restait plus qu'à attendre le verdict des hommes du colonel et plus particulièrement du lieutenant Hawkeye.

Mais quel que soit ce verdict, il irait voir le colonel, et lui remettrait son message. Il accomplirait sa mission.

Les sons de sa voix sont durs, glaciaux. Ils collent parfaitement à l'image des pas d'un loup dans la neige. Feutré, sauvage, insaisissable. Mais profond, droit au but. Il erre, cependant il connait son chemin. J'aime cette sensation de totale liberté qu'il semble communiquer. Que toute son âme semble communiquer. Je me relaxe sur ma chaise; mon dos venant s'appuyer sur le dossier de ma chaise. J'écoute d'une oreille la conversation tournant sur un livre. Je ne l'ai pas lu et le sujet m'échappe; je ne suis pas trop férue de littérature. Je dois avouer qu'à mon grand regret, je ne suis pas douée pour autre chose que la guerre. Jamais je ne pourrais être une bibliothécaire, une secrétaire et restée au chaud comme le fond presque la majorité des femmes. Je serai comme un lion en cage et je deviendrai folle. Complètement folle à lier.

« Hey, ça va? »

Sans bouger d'un cil, Brenda chuchote ces mots à mon oreille. Je lui réponds par un geste de la tête.

« Juste un peu fatiguée après l'exercice. »

Il pouffe discrètement, ne parvenant sans doute pas à croire ce qu'il vient d'entendre.

« Même Hawkeye est capable de ressentir quelque chose d'aussi humain que la fatigue?
-Que voulez-vous, les machines remplaçant les humains, j'ai toujours eu ça en horreur. »

Faible sourire avant de se concentrer de nouveau sur la conversation.
Les répliques de l'éclaireur fuse, il sait ce qu'il est et où il va. De plus en plus bonne impression, soldat! Sa dernière phrase m'est directement adressé; il me fixe du regard sans sourciller. Je plante mes yeux marron dans les sien de glace et l'affronte sans mot dire. La profondeur de ses abysses est vertigineuse. Je m'y perds, y nage puis coule. Tout au fond, bien solide comme un roc se tient le soldat obéissant. Puis, tout en profondeur, dans ses pupilles brillent l'éclat de la rébellion. Un éclat le faisant admettre d'office dans nos rangs. Je remonte, me reconnecte au présent. J'adresses un petit sourire à notre invité.

« Ce ne serait pas une mauvaise idée, éclaireur Lysheart. Je l'approuve. »

Je sens les paires d'yeux de mes camarades se fixer sur moi, interloqués. Seul Brenda rit sou cape.

« Et bien, si le lieutenant est pour, je ne vois par pourquoi je dirai non. »

Brenda retrouve son calme après avoir donné son avis.

« Je...Je vote pour aussi. »

Fuery.

« Pourquoi pas, après tout. »

Seul Havoc émet un avis négatif.

« Ah non non non! J'ai un rencart, moi! Et ça fait déjà trois fois que j'annule! Vous pouvez pasme faire ça à moi! Lieutenant! Vous aviez dit 'plus d'heures sup'. Alors tenez votre promesse. »

Il fait la tête, tel le gamin qu'il est. Je soupire.

« Je peux me charger de la protection du Colonel seule. Ce n'est pas un soucis. Et puis, notre invité sera désarmé, n'est-ce pas? »

Fuery hoche la tête, Brenda ronfle déjà à moins qu'il ne fasse semblant et Falman se lève pour débarrasser son plateau.Mais je sais qu'ils seront tous dans le bureau du Colonel à six heures tapantes, heure usuelle pour les visites de dernières minutes. Même Havoc, bien qu'il boude toujours.

Je me penche et me présente correctement à l'éclaireur.

« Lieutenant Riza Hawkeye, au service du Colonnel Mustang. Bienvenu à Central, éclaireur Lysheart. Désolée du temps de réponse, mais ce n'est pas aussi facile de rencontrer le colonel en ces temps agités. Vous devrez patienter un petit peu... »