L’infirmerie de la caserne de Central était certainement l’endroit le plus paisible chez les militaires. Alors que les couloirs, remplis de soldats afférés à quelconques affaires, coexistaient avec les bureaux flamboyants des alchimistes d’état. Tout n’était que pure zizanie dans les bureaux. Les affaires se succédaient, suite après une période de calme plat. En sortant des bâtiments, lorsqu’on prenait tout de suite à droite, on tombait sur l’infirmerie. Un édifice ouvert, percé de toutes parts par des grandes fenêtres. Un lieu teinté de blanc où le calme et la sérénité étaient reines. Quelques fois le silence d’église était parfois déchiré par les hurlements d’agonie des blessés ou des malades. Mais aujourd’hui, pas un bruit. Dans la chambre n°64, un militaire toussait à s’arracher les poumons, tandis que dans le couloir, une vieille femme sanglotait silencieusement dans un mouchoir de tissu rose pâle. Dans la 66, une femme, alitée, avait la tête baissée, les yeux cachés dans l’ombre, recouverts de mèches noires éparses. Cette femme était abattue, elle macérait les cuisantes défaites qu’elle venait d’endurer. Deux d’un coup, sa fierté en prenait un coup. Elle, commandant en chef des Armées de Central avait échoué. Sous le fin drap blanc, ses poings tremblants étaient serrés de rage. De multiples perfusions trouaient sa peau grisâtre. Son rimmel avait coulé. Non à cause des larmes. Aisya ne pleurait pas. Elle ne voulait pas. Elle ne pouvait pas. Et l’infirmerie était un endroit qu’elle abhorrait ; elle s’était promis de ne jamais y aller. Mais là, elle avait été obligé, une blessure de plus et elle ne se relevait plus. Ses mains, tout son corps avait été brûlé par l’explosion et sa blessure à l’épaule s’était infectée. Un coup de chance qu’on ne l’ait pas amputé. Elle sortit ses mains de sous la couverture et les fit bouger lentement. Elle avait mal. Où ça ? Partout. A l’extérieur comme à l’intérieur. Aisya n’avait de cesse de se poser des questions. Pourquoi échouait-elle si facilement ces temps-ci ? Quelque chose la perturbait mais elle ne savait quoi. Et lorsque l’alchimiste ignorait ce genre de chose, cela avait le don de la plonger dans une effroyable colère.


Cependant, une présence l’empêchait de littéralement « pété un câble ». Un jeune homme, dans le lit voisin, veillait sur elle. Ce jeune homme avait tout comme elle les cheveux corbeau. Il portait au visage un bandage à l’œil. Ce garçon n’était autre que Richard. Aisya avait veillé à se trouver dans la même chambre, chose rare, car, normalement, les effectifs masculins n’avaient pas le droit de côtoyer des femmes dans leur chambre d’infirmerie. Mais là, c’était différent. Richard, toujours présent lors des moments difficiles, loyal, fidèle en tout point. Celui-ci l'observait, posant sur elle un regard attendrissant d'anxiété, et sans qu'elle s'en fût réellement rendue compte, cela atténua très légèrement le supplice dont elle était l'objet.


Finalement, dans un effort considérable, elle tourna la tête vers lui, le regard terne et vide, lui qui était d’habitude doré et plein de rage de vivre et de colère.


-« Qu’est-ce que tu m’veux bleusaille ? »


Sa voix cassée avait résonné jusque dans les entrailles du soldat qui secoua la tête avant de la baisser, incrédule, ne sachant que répondre à cette femme blessée. Cette femme digne. Cette femme malade.

Les yeux mornes d'Aisya s'étaient plongés dans l'observation du paysage citadin de Central. A travers la fenêtre entrouverte, elle considérait les immeubles et les rues d'une lassitude sans précédent. Elle avait vécu tellement longtemps en ville. Depuis son entrée dans l'Armée, elle n'avait connu que le bruit incessant de la capitale. Et au final, elle ne se rendait plus vraiment compte de ce qui se passait autour d'elle. Tous les accidents, les meurtres, les vols, tout cela faisait maintenant partie de son quotidien. Et, comme pour lui remémorer son rôle, Richard s'empara d'un dossier posé sur sa table de nuit et le lut d'une petite voix brisée à son Commandant :

-"Madame, je sais que ce n'est pas vraiment le moment, ni le lieu appropriés mais je suis obligé de vous faire un rapport ..."

Toujours sans quitter la vitre des yeux, Aisya hocha la tête de haut en bas, l'incitant à continuer.

-"Et bien voilà, il y a maintenant 3 jours de cela, on a constaté une évasion dans la prison centrale. Le fugitif est un dénommé Théodore Bagwell, l'homme qui a tué 6 jeunes en quelques semaines."

Aisya acquiesça et soupira. Elle le savait déjà tout ça, les gardiens avaient eu tôt fait de la prévenir. Elle lui fit part de ces mots.

-"Vraiment, vous étiez déjà au courant ? ... Nous poursuivons les recherches avec la police mais il nous glisse tout le temps entre les doigts. Quelqu'un prétend l'avoir aperçu dans les Bas-quartiers de la ville."

-"Très bien, alors j'irais voir là-bas."

-"Mais Commandant, vous n'êtes pas encore totalement rétablie. Laissez le bureau de recherche faire son travail et reposez-vous !"

-"J't'en pose des questions, sale môme ?!"

L'alchimiste brandit un poing vengeur et carbonisé en direction de son subalterne, quand soudain, elle aperçut un jeune homme à la fenêtre qui leur fit signe de ce taire. Les sourcils de la jeune femme se arquèrent, une veine palpita sur sa tempe et ses muscles se tendirent.

-" ... Le Xinois ..." murmura Richard.

Aisya, elle, ne descella pas les lèvres. Elle s'empara discrètement du revolver qu'elle avait pris soin de garder et le chargea en silence.

-"On peut savoir c'que tu fous ici, l'étranger ??" demanda-t-elle avec de nouveau, ce sourire machiavélique.

Une flamme s'était rallumée dans les yeux d'Aisya ...

Aisya pencha la tête sur le côté, comme pour mieux entendre ce que le Xinois disait :


-« ... Prendre des nouvelles ? »


Elle prit soin de détacher chaque syllabe, ce qui accrut davantage cette impression que l'éruption n'allait pas tarder.


-« Tu te fous de moi, j’espère ? demanda-t-elle en baissant la tête, tu te rends compte que tu es seul cette fois-ci et que, même blessée je peux encore te faire la peau ? ... Hm ? »


L’alchimiste redressa son visage et le considéra avec dégoût et aversion. Elle avait eu du mal à prononcer le mot ‘blessée’ qui lui avait littéralement arraché les lèvres. Ce Lin avait eu l’audace de la laisser pour morte et de bafouer sa dignité et maintenant, il avait l’impudence et l’imprudence de se présenter à son chevet.


-« De la persécution, c’est ça ? Tu m’incites à me battre en prenant la peine de venir me voir, alors que tu sais très bien que je ne pourrais pas te toucher ... T’es vraiment qu’un sale type !... »


Ces mots étaient contradictoires par rapport à ce qu'elle avait dit plus tôt. Et son timbre de voix avait été celui d'une enfant froissée. Mais c’était la vision des choses de la jeune femme qui, un bras bandé, s’était levée en prenant appui sur son lit, son autre main valide et brûlée, dissimulant toujours l’arme que le jeune homme eût tôt fait de remarquer. Elle était vexée certes, mais aussi vouée à une profonde colère. Et pourtant, au plus profond d’elle-même, elle n’arrivait pas à haïr réellement cet adolescent. Bien plus loin que tout autre chose. Oui, elle en avait abhorré des gens et des choses ; tous les criminels, tous les voleurs et les brigands. Mais ce jeune homme restait différent d’eux. Tout comme Ayame en qui elle s’était, en partie, trompée sur son compte. Peut-être que l’âme du Xinois pouvait encore être sauvée de la colère vengeresse du Commandant. A cette idée, elle fut prise de tremblements frénétiques et lâcha son arme. Elle se leva pour de bon et, en deux pas, elle était en face du garçon qui, malgré son âge, faisait la même taille qu’elle. Son poing était serré jusqu’à ce que ses ongles entaillent sa chair. Elle le foudroyait de son regard qui avait, grâce à son interruption, reprit quelques couleurs électriques ...

-« Les hommes, irréfléchis ? ... Et butés en plus de ça ... »


Elle avait plus dit cela pour elle-même et sa voix s’était un peu adoucie. Juste un peu ... Le Xinois croisa les bras et lui souriait toujours. Ce sourire. Même dans les situations les plus périlleuses ou les moins adéquates, Lin affichait cet air enjoué mais sincère. Oui, il n’était pas comme Aisya qui préférait accrocher des rictus sarcastiques qui étaient censés ressembler à des sourires. Cela lui rappela ce jour lointain durant lequel, des soldats de sa section lui avaient littéralement donné un « cours de sourire ». Ils s’étaient bien amusés ce jour-là. Aisya n’était alors qu’adjudant et portait encore le masque de l’allégresse. A cette époque, elle ne supportait pas encore le poids de la montre en argent. A cette époque, T-Bag était encore derrière les barreaux. Lin n’était encore qu’un nourrisson et Scar n’était pas encore pénétré en terre amestrienne.

Il insinua que la persécution n’était pas son genre et, étrangement, Aisya le crut. Il ne devait pas être un mauvais garçon. Il avait juste du tomber sur les mauvaises personnes. Lin lui avoua même qu’il était persuadé qu’elle s’en sortirait.


-« Ouais mais ... le coup de la bombe, c’était risqué, non ? Si tu voulais pas que je meurs ... »


Sa tête toujours baissée, elle prenait néanmoins la peine de le regarder. Et de ce regard revigoré, on ne distinguait presque plus de colère. Aisya s’accordait, pendant quelques minutes, un instant de passivité envers ceux qui avaient attenté à sa vie. Une fragrance tropicale venue de loin envahit la pièce. Lin avait ouvert le flacon et s’était emparé de son bras avec une douceur inexplicable. Pourquoi persévérait-il à être gentil avec elle, qui ne pensait qu’à lui régler son compte ? Aisya eut un mouvement de son bras étreint dans un bandage. Cependant, elle se laissa faire. Que pouvait-elle faire autrement ? Son arme était derrière et le Xinois tenait sa main. Imperturbable, il enduisait sa main meurtrie de l’onguent médicinal et bientôt, l’alchimiste sentit que sa peau réagissait. Dans quelques jours, elle aurait retrouvé l’usage de sa main. Elle afficha ce semblant de sourire et dit :


-« Essaye pas de m’entourlouper en jouant les médecins ... J’te laisserai pas aller au-delà du bras ... »


Bien sûr, ces paroles n’étaient que purs plaisanteries, mais sur le coup, Aisya ne put s’empêcher de ricaner. Depuis combien de temps n’avait-elle pas vécu pareil moment ? Une éternité.


-« Toi non plus tu as eu maintes occasions de me tuer ... Alors, pourquoi, pourquoi te montres-tu si clément ? Je pourrais prendre ça comme un supplice, comme si tu souhaitais me voir souffrir de mes défaites. T’as du remarquer que ça me mettait dans tous mes états ... »


Elle fixa de nouveau sa main valide. Elle remua timidement ses doigts qui répondaient déjà un peu plus facilement à l’appel. Vraiment, avec l’âge, elle se ramollissait. Au point même de se laisser soigner par un ennemi ... ou pas . . .

Il sentait que la colère s'amoindrissait, et que l'air dans la pièce se faisait moins lourd... simple sensation ou réalité ? Qui plus est, il se sentit moins opprimé, en effet cette jeune femme, aussi "fragile" se disait-elle, dégageait pourtant une importante force, cela devait être son caractère, après tout, elle n'était pas alchimiste d'État pour rien.

Lorsqu'elle lui parla de l'explosion, il eut comme un léger rire chaleureux.
"Et bien il faut avouer que tu es très forte, ce fut la seule option que de détruire les égouts pour pouvoir partir, et puis une balle logée dans l'épaule, j'aurais eu du mal à te semer. Si j'avais voulu ta mort, je t'aurais simplement lancé les bombes..." dit-il en baissant la voix, en effet il n'affichait plus vraiment de sourire, car il n'aimait pas parler si aisément de la mort, surtout de la personne a qui il parlait en ce moment même.

Au bout d'un moment, il était étonné de voir qu'elle le laissait la soigner, il reprit un peu de pommade pour en appliquer sur l'avant bras. Puis aux paroles de la jeune femme, il ne sourçila pas.
"Jouer les médecins ? Je suis si mauvais que sa ? dit-il en ricanant, ensuite il reprit :
"C'est vrai que c'est pas vraiment mon domaine... Mais soit, je vous laisserez vous soigner vous-même." fit-il amicalement, il posa le flacon sur la petite table et s'appuya sur la fenêtre, les bras à nouveaux croisés.

Puis il fut interloqué par les mots de l'alchimiste.
"Et bien, je devrais juste dire que je ne serais pas celui qui vous ôtera la vie, je ne cherche pas non plus à vous faire souffrir, je comprends parfaitement votre colère, mais si vous prenez cela comme une défaite, moi je n'ai ressenti aucune victoire."

Il regarda ensuite le ciel à travers la fenêtre avant de reprendre :
"Et puis cela nous permet de nous endurcir ce genre de chose non ?" dit-il avec un léger sourire.

Apparemment la mort n’était pas un sujet que Lin aimait aborder. En même temps, il fallait voir les choses en face, il n’avait que 16 ans. Oui, Aisya avait pris soin d’éplucher son dossier, à lui et à Scar, avant leur intervention fortuite. 16 ans ... Il n’était même pas majeur et déjà, recherché par toutes les autorités de Central. Le destin était bien cruel parfois.

Lin abandonna le flacon de soin sur une petite table de chevet, près des lits. Richard s’était retiré depuis un moment déjà, il devait aller faire ses examens de la vue, afin de déterminer si son second œil n’était pas endommagé. Il ne voulait pas sa mort. Cette phrase tournait en boucle dans le crâne de l’alchimiste comme un vieux disque rayé. Oui, ce garçon était beaucoup plus mûr que le reste des adolescents. C’était sûrement le danger qui avait assagi son esprit pourtant si joyeux. Rien n’entamait son allégresse, si ce n’était que le pire : la mort. Lui-même risquait sa vie chaque jour.

La jeune femme posa ses yeux sur la fiole. Il n’y aurait sûrement pas assez de pommade pour tout son corps. Elle verrait le moment venu. Son attention se reposa sur le Xinois qui s’était appuyé sur le rebord de la fenêtre. Le temps s’était éclairci et sa silhouette se détachait dans la lumière du jour naissant. La clarté du timide soleil faisait comme une illumination dans le dos du jeune homme. Elle ne pouvait plus distinguer son visage mais elle lui semblait qu’il souriait. L’alchimiste blessée agita une nouvelle fois les doigts de sa main guérie et la leva pour mieux la contempler. Elle passa son doigt sur l’ombre qu’était devenu Lin et soupira longuement. Il s’était permis pendant un moment de la tutoyer et elle ne s’était pas énervée. Décidément, elle devenait de plus en plus passive. Son inactivité lui coûterait la vie se prit elle à penser.



"Et bien, je devrais juste dire que je ne serais pas celui qui vous ôtera la vie, je ne cherche pas non plus à vous faire souffrir, je comprends parfaitement votre colère, mais si vous prenez cela comme une défaite, moi je n'ai ressenti aucune victoire."



Il s’était remis à la vouvoyer. Un voile s’était levé. « Si vous prenez cela comme une défaite, moi je n’ai ressenti aucune victoire ». Aisya avait déjà entendu ça. D’une autre manière, la phrase n’avait pas été exactement la même. Quelque chose comme : « Ne prend pas ça comme une défaite, pour moi c’est une victoire. »

Oui, c’était lors de l’une de ses premières visites de T-Bag. Elle était affolée de le voir de nouveau en prison et pensait que c’était de sa faute, qu’elle n’avait pas fait ce qu’il était convenu. Il l’avait rassuré, posant une main froide sur la vitre qui les séparait et avait répondu que c’était pour lui un véritable triomphe. Ainsi, le jeune Xinois ne la provoquait pas, cela semblait évident maintenant. Tout ce qu’il souhaitait, c’était de rester en vie.



-« Alors, j’espère qu’un jour, nous pourrons tous les deux fêtez cette victoire ... »



Elle avait levé le poing, pour illustrer sa phrase. Un poing tremblant, comme si un oisillon dont le jeune palpitait au sein de sa paume. Oui, ce genre de chose endurcissait l’âme humaine. Aisya n’avait vécue que ce genre de moments. C’était pour cela qu’elle paraissait parfois bien loin de l’état d’âme humain.



-« Mais toi, as-tu vraiment besoin de subir tout cela ? »



De nouveau, leurs regards se croisèrent et l’alchimiste posa le petit oiseau endormi au creux de sa main contre sa poitrine frissonnante ... Au creux de sa main . . .

Aisya Jasdero écouta avec attention l'histoire du jeune homme. Les mots "empereur" et "héritiers" sonnèrent dans sa tête comme ceux d'un conte de fée. Lin était donc un prince ? On pouvait lire à ce moment, dans les yeux dorés de la jeune femme, une pointe d'admiration. Elle ne connaissait pas grand chose de Xing. Ainsi, il devait ramener dans son pays la pierre philosophale ?

-"La vie éternelle ? ..."

Elle se frotta le menton, perplexe. D'habitude, elle faisait mine de ne pas y croire, histoire de ne pas paraître totalement folle. Mais, en présence du jeune Xinois, elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger.

-"C'est une chose bien difficile que l'on t'a demandé, là. Et je te mentirai si je te disais que tu retrouveras vite les tiens. Car, si tu comptes réellement trouver la pierre, afin de retourner chez toi, ce sera très difficile, très long et très dangereux. Sache que tu ne dois pas être le seul à la chercher. De nombreuses organisations mènent des recherches compliquées. Le colonel et moi-même soupçonnons même l'Armée de ..."

Sa dernière phrase qu'elle déclara plus discrètement fut interrompue par le retour de Richard. Le jeune soldat fut surpris de voir encore Lin dans la pièce. Il avait bien cru que sa supérieure n'allait en faire qu'une bouchée. Il laissa échapper un soupir de soulagement et, sentant qu'il venait de couper court à la conversation, il baissa la tête, gêné. L'alchimiste ne fit pas plus attention à lui et reprit :

-"Cependant, Lin, tu ne devrais pas trop traîner dans les pattes de Scar. Tu comprends, il est recherché par toutes les autorités de Central et crois-moi, il n'est pas du genre à divulguer ce qu'il sait au premier venu ..."

Lin. Elle l'avait appelé par son nom. Une nouvelle étape était franchie. Le jeune homme en s'étant fait prendre en compagnie de l'Ishbal s'était tout de suite condamné. Il était très certainement trop tard maintenant. Dès qu'il passerait de nouveau la fenêtre et que le commandant serait rétablie, elle devrait retourner à leur poursuite. Elle se l'était promie ...

-"Il est vrai que des alchimistes aient utilisé la pierre lors du conflit d'Ishbal mais aujourd'hui, je ne sais pas plus que toi ce qu'il en est ..."

"Cela ne doit pas être facile pour vous non plus." s'enquit l'adolescent.

Aisya secoua négativement la tête, faisant voler sa chevelure sombre comme la nuit, un sourire navré pendu à ses lèvres.

-"C'est sûr que vous m'en faites voir de toutes les couleurs. Pourtant, chaque jour, je me dis que c'est pour ça que je suis entrée dans l'Armée. Plus j'y pense et plus je me dis qu'à l'époque, il me fallait quelqu'un pour prendre des initiatives. Mais maintenant, j'essaye d'agir par moi-même ... Je ne veux plus qu'on me qualifie de chien de l'Armée ..."

Chien de l’Armée. Même si cela pouvait à présent paraître honteux de comparer cette appellation à Aisya, elle n’en restait pas moins un militaire. Et elle savait très bien évaluer où et quand s’arrêtait la limite de son indulgence. Car le cœur de la jeune femme était depuis trop longtemps pris dans l’étau de la montre en argent, coincé dans ce petit objet teinté de gris et de lumière. Dans celle d’Edward, on pouvait y trouver inscrit une date. Dans celle de Jasdero, si l’on collait son oreille contre la paroi froide, on pouvait percevoir un son très discret. Une palpitation régulière. Celle d’un cœur. Tout cela était une image bien sûr, mais une image on ne peut plus réaliste de la situation.

Aisya posa sa main valide sur sa hanche dans un mouvement rehaussé de désinvolture qui lui allait si bien, considérant de ses yeux ambrés à l’aspect fatigués, le jeune homme tassé sous la fenêtre, dans une position fœtale. A ce moment, il avait l’air réellement d’un enfant que l’on avait impitoyablement jeté dans les dangereux méandres de la vie. Bien évidemment, ce genre de pensées n’atteignit pas l’esprit embrumé de l’alchimiste d’état. Son âme n’était pas encore assez épurée pour ressentir ce genre de compassion. Cependant, on put constater un léger mouvement de ses sourcils qui le crispèrent, rendant son regard un peu plus tolérant. Un tout petit peu ... Vraiment ... Mais il fallait apprendre à se contenter de ce genre de discrétions.

Lin expliqua qu’il avait comme un mauvais pressentiment depuis qu’il avait franchi la frontière. Ses paroles se rapportaient les unes aux autres. De la peur ? De l’angoisse ? Peut-être. Ou pas. Sa dernière phrase résonna dans le crâne de l’alchimiste. Une aura humaine ? Falsifiée ? Ils auraient donc à faire à des créatures qui n’étaient pas des Hommes ?

-« C’est ... absurde ... »

Elle chuchota cette phrase pour elle-même, pour se persuader que cela était impossible. Avait-elle peur ? Etait-elle angoissée ? Peut-être. Ou pas. Richard, lui, frissonna et un bruit retint son attention. Un bruit de pas. Le martèlement des bottes sur le carrelage du couloir. Il s’approcha de son supérieur.

-« Commandant, des militaires arrivent et ... »

-« ... Je suppose qu’il ne serait pas satisfait de voir qu’un intrus recherché dans toute la ville soit à mon chevet. » finit-elle en jetant un coup d’œil à Lin. Un œil qui avait reprit tout son éclat.

L’atmosphère se tendit.

-« Ecoute, le Xinois, je te laisse le choix. Soit tu te rends et tu peux dire adieu à tout espoir de retrouver la Pierre ... »

Le Xinois. Une porte s'était refermée. Elle fit deux pas, se retrouva à sa gauche et ouvrit d’un geste brusque la fenêtre.

-« ... Soit tu me prouves que tu vaux vraiment la peine que je te poursuive et tu te tires ... A toi de voir. »

Malgré son air sérieux et se traits durs, cette mise au défit semblait pour elle comme la continuité d’un jeu ... Ou pas ...

« Ne te fais pas trop d’illusions là-dessus, le Xinois. Ce n’est pas parce que je te laisse partir une fois de plus qu’on sera potes un jour ou l’autre. Pour moi, tu es un adversaire, tout comme Scar. Mais quelques fois, il peut arriver à un militaire d’être obligé de faire confiance à un rival. Alors qui sait, nos chemins se croiseront sûrement ... »

Il était vraiment temps pour Lin de partir. Heureusement, ils avaient eu chaud, pour l’instant : c’était Ayame qui était entrée. Mais le militaire qui l’avait accompagné attendait sûrement à la porte ou, dans le cas contraire, était parti chercher le second rapport pour le commandant. En attendant, la jeune fille teinte en brune n’avait pas dit un mot. Richard la dévisageait à son tour : comme elle était jolie ! Il ne fallait pas lui en vouloir, ce n’était pas tous les jours qu’il pouvait admirer les miracles de la beauté féminine. Non pas qu’Aisya était laide ... c’est juste qu’il avait du mal à la considérer en tant que femme. Ne souhaitant pas la faire attendre trop longtemps, Jasdero s’assit sur son lit et l’invita à s’approcher d’un signe de tête. Son visage s’était raffermi, son œil était de nouveau vif : la valise que la jeune tueuse à gages tenait contre elle ne lui échappa pas. Elle désigna le bagage d’un signe de tête et demanda :

-« C’est quoi ça ? »

Richard, lui, ne bougeait toujours pas. Il venait de se rappeler le combat que l’alchimiste de foudre avait mené contre elle ! Décidément, le commandant avait pour seules visites ses ennemis. C’était un comble pour une personne fière comme elle. Les voir gambader dans la nature devait lui transpercer le cœur. Elle avait beau jouer les compatissantes, il discernait bien qu’elle ne supportait pas ça. Cependant, elle avait eu l’air très intéressée par les affaires du Xinois. Hélas, lui était encore trop ingénu pour en comprendre le sens réel. Et puis, personnellement, Aisya ne voulait pas qu’il se fasse une mauvaise image de l’Armée. Il n’en était qu’à ses débuts. Elle, elle n’avait plus rien à perdre. Au point qu’elle laissait ses proies prendre de l’avance.

En parlant de proie, elle ne put s’empêcher de jeter un œil par-dessus son épaule bandée, afin de voir si Lin était encore là ou pas.

Aisya ouvrit la valise puis le dossier avec précaution. Il était rempli d’informations, dont certaines qui ne lui étaient jamais parvenues à l’esprit. Elle avait là la quasi-totalité d’un réseau de trafic de la capitale. Des criminels de bas-étage sans doute mais, avec ça en sa possession, elle était certaine d’obtenir une promotion. Et, un alchimiste de sa trempe n’était pas du genre à prendre facilement des vacances. Son élévation se manifesterait donc pas une montée en grade qu’elle attendait depuis des lustres. En effet, depuis sa nomination au poste d’alchimiste d’état, elle était restée commandant jusqu’à maintenant. Quel comble ! Grâce à cette fugitive, elle allait monter dans la hiérarchie militaire ! Un pas de plus vers le pouvoir. Car Mustang n’était pas le seul à convoiter la tête du pays. Bien que la jeune femme fasse preuve de plus d’égoïsme dans ce choix, elle nourrissait ce rêve depuis le début. Elle ne prit pas la peine de remercier la blondinette –brune en ce moment-, c’aurait été bafoué son honneur. Elle était inatteignable dans ce domaine. Une flamme s’alluma pourtant dans son regard doré. Elle émit un petit rire et agita les papiers devant les trois jeunes gens.

-« Avec ça, je suis certaine de dépasser ce cher Mustang ! »

Richard, qui venait de se faire rembarrer par Ayame, dévisagea son supérieur avec stupeur. Il savait mieux que quiconque la compétition interminable entre le colonel et le commandant et pourtant, il s’étonnait encore de la voir se réjouir ainsi. Cette dernière nota tout de même qu’aucune information concernant Ayame n’était visible.

-« Dis-moi Hasashi, c’est normal que je ne vois pas une seule fois ta frimousse parmi tous ces malfrats ? » demanda-t-elle avec un sourire sarcastique.

Cette question mit la puce à l’oreille de Richard qui sursauta : il n’avait plus de doutes sur l’identité de cette jolie demoiselle. Alors pourquoi, pourquoi le Thunder Alchemist ne l’arrêtait-elle pas ?

*Vous ne comprenez pas ?! demanda-t-il intérieurement à Lin et Ayame. Ne saisissez-vous pas qu’elle se fait mal à vous voir en liberté ! Allez-vous-en ! Laissez-la se reposer, pour une fois !*

Une fois de plus, il sous-estimait son supérieur. Il était vraie qu’Aisya n’aimait pas voir ses ennemis dans la nature, mais elle était résistante et s’y ferait avec le temps, à moins qu’elle n’arrive à les arrêter. Pour le moment, elle préférait savoir Lin parti en reconnaissance, ce qu’il lui avait dit précédemment l’avait beaucoup intéressé. Quant à Ayame, elle ne pouvait plus faire grand-chose avec son oncle derrière les barreaux. Des bruits de botte, encore. Cette fois-ci, il n’y avait aucune chance pour que ce soit quelqu’un qui ne reconnaisse pas les deux fugitifs. C’en était fini pour aujourd’hui. Le militaire se leva brusquement et fit glisser les dossiers sous sa couche. Elle fit face aux deux adolescents et murmura violemment entre ses lèvres :

-« Il est temps pour vous de lever le camp ! On se reverra, j’en suis certaine. Trop de choses restent dans l’ombre, et je ne pourrais pas compter sur l’Armée pour les éclaircir, vous me suivez ? »

Le timbre de sa voix était frustré certes, mais relevait aussi du défi. Une nouvelle partie s’engageait, permutant les rôles de bon nombre d’entre eux ...