Je posais la main sur la poignée de la porte s’ouvrant sur la boutique d’armes de la ville. La nuit était tombée depuis un bon moment et, comme la veille, les rues étaient désertées par les passants. Les gros nuages menaçant de laisser déferler une forte pluie sur ma tête si je n’entrais pas au plus vite dans le bâtiment. Je souhaitais que ma dague soit fin prête, réparée, en bon état, de sorte à ce que je puisse m’en servir au plus tôt. M’avançant vers le comptoir, j’aperçu la même jeune femme que la veille, occupée à servir un client. Attrapant, entre mon majeur et mon index gauche, la cigarette coincée entre mes lèvres, je laissais une légère fumée s’échapper de ma bouche. Doucement, je croisais les bras, attendant impatiemment que le client présent ai l’idée de partir. Cependant, il semblait prendre tout son temps.

Je fis deux pas dans la boutique, observant les revolvers fièrement présentés çà et là contre les murs. Chaque arme possédait sa propre histoire. Ici, elles commençaient leur longue existence, attendant patiemment d’être désignées par une tierce personne ayant besoin de leur service. Flamboyantes, elles étaient destinées à être tâchées d’hémoglobine et de semer de nombreux cadavres en ce monde. J’effleurais doucement l’une des armes de mes doigts gantés. Mon regard parcouru l’intégralité de sa parure métallisée avant de la prendre doucement entre mes mains. Je l’observais sous toutes ses coutures avant de la reposer avec grande attention. Laissant tomber un peu de cendre sur le parquet souillé de terre, de boue ainsi que de poussière, je portais de nouveau ma cigarette à mes lèvres. Alors que le client s’éloigna du comptoir pour observer les armes posées contre le mur, j’en profitais pour m’approcher de la vendeuse. Posant une main sur le bois à la peinture écaillée, je tirais une nouvelle bouffée avant de m’adresser à la jeune femme.

-« J’espère que mon arme est prête, comme convenu. »

Un léger rictus se voulant être un sourire en coin étira mes lèvres. Je tournais la tête en direction de ce client, regardant fixement les armes posées devant lui. Il en prenait une, l’examinait, la reposait. Je remarquais qu’il exécutait ce manège à de nombreuses reprises. Lorsqu’il regardait en ma direction, je feignais d’observer une quelconque partie de la pièce. Du coin de l’œil, je continuais d’épier ses mouvements. Était-ce à cause de son attitude que je lui trouvais des manières louches ou bien était-ce mon intuition ? Jamais je ne me trompais lorsque j’avais un pressentiment de ce genre. Je décidais donc de garder un œil sur lui, alors que je plongeais lentement ma main libre à l’intérieur de mon manteau carmin, attrapant de nombreux billets que je posais sur le comptoir. Cela devait suffire pour couvrir entièrement les frais de réparation. Posant un doigt sur la petite plie de billets, je la glissais lentement vers la jeune femme.

-« Je crois que cela sera suffisant pour couvrir la réparation de l’arme. »

Déjà le matin, Elena n'avait pas beaucoup dormi, à réparer les armes de ceux qui ne savent pas les utiliser et qui les bousillent ça fait du boulot que l'on effectue pour rien, enfin tant que ça rapporte de l'argent, c'est toujours pour ça du moins. Mais en tant que passionnée d'armes en tout genre, Elena était quand même énervée contre ceux qui avait parfois des bijoux entre les mains et qui les utilise comme des simples outils. Cela dit, ce n'était sûrement pas le cas de la cliente au long manteau carmin, selon le vieux, cette femme était déjà venue à la boutique mais elle venait rarement et Elena apprit aussi que le boulot de cette femme méritait normalement beaucoup plus de passages à la boutique d'armes qu'elle ne le fut. Voila enfin une personne qui savaient parler aux armes et les bichonner comme il se devait. Au milieu d'un tas d'outils, Elena traina les pieds jusqu'au rez-de-chaussé là ou le comptoir l'attendait. Mais avant d'ouvrir la boutique, une douche et un petit déjeuner ne faisait pas de mal. Peu de temps après, Elena un peu plus réveillée, alla à la porte de la boutique, tira les stores et tourna la petite pancarte pour indiquer que la boutique ouvrait. Les habitués de bons matin affluaient, c'était toujours comme ça, on commence par les maniaques ensuite on continue dans l’après midi avec les flemmards et le soir on termine soit avec les maniaques du matin, soit d'autres clients imprévisibles (comme cette femme). Et ce soir, elle revenait prendre ce qu'elle avait laissé un jour auparavant...

-« J’espère que mon arme est prête, comme convenu. »

La politesse et elle ne semblait pas faire la paire, elle devait être pressée, comme d'habitude quoi... Elena voulait en faire de même, mais son statut de vendeuse ne lui permettait pas de faire ce genre de choses:

-"Bonsoir, votre arme est prête."

Elena, abandonna quelques instants sa cliente afin d'apporter la dague tant attendue, rangée dans son tissu, la jeune femme le déplia sur le comptoir pour que sa cliente voit d'elle même la réparation. Apparemment, ce n'est pas ce qui l’intéressait, elle observa un autre client qui examinait les armes mises en vitrine. Elena avait déjà remarqué l'étrange manœuvre de cet homme, mais elle ne pouvait cependant pas l'épier et se déconcentrer de son travail.

-« Je crois que cela sera suffisant pour couvrir la réparation de l’arme. »

*Même largement!* Pensa la jeune vendeuse.

-"Oui c'est amplement suffisant, merci bien, s'il y a quoique soit qui arrive à vos armes nous restons à votre disposition."

Encore une formule de politesse pour bien ficeler le tout. Elena avait presque fini sa journée, elle allait enfin retrouver son lit douillet après avoir réparé d'autres armes. Cependant, avec autant d'argent, Elena souhaitait vivement le retour de cette "chère" cliente...

-"Bonsoir, votre arme est prête."

Polie, respectueuse, cette femme quitta finalement son comptoir afin d’aller chercher ma dague. Frappant de mes doigts gantés sur le meuble, je tentais de contenir cette impatience dont je faisais bien souvent preuve. Comme disait le proverbe « on est jamais mieux servis que par soi-même », je préférais être totalement indépendante afin de ne pas me retrouver à attendre inutilement une tierce personne et perdre un temps précieux. Les journées étaient affreusement courtes. Parfois, j’aimerais bien profiter de quelques maigres heures supplémentaires afin de venir à bout de mon travail, de passer du temps avec Melyhanna et de prendre un peu de temps pour me détendre. La vie était ce qu’elle était, je ne pouvais être capricieuse et devait profiter des plus grands avantages qu’il m’était donner de posséder, comme la liberté. Rien ne pouvait remplacer ce sentiment, cette sensation de légèreté et de pur bonheur. Je n’étais plus cette gamine faible et soumise aux strictes lois d’un père violent et absent, mais bien une jeune femme libre de ses faits et gestes, contrôlant sa vie d’une poigne de fer sans avoir à rendre de comptes à qui que ce soit. Tuer était devenu mon gagne-pain, une activité comme une autre, un travail bien ordinaire. Que valait la vie d’un humain ? De toute façon, tout être de chair et de sang verra la vie le quitter un jour ou l’autre, alors autant que sa mort soit profitable à quelqu’un.

La vendeuse revint enfin à son comptoir, déposant avec délicatesse l’épais tissu dans lequel une dague brillant de mille feux était enveloppée. Épiant discrètement le second client de cette boutique, je ne prêtais aucune attention à la femme. Elle pouvait bien attendre quelques instants. Je sentais que quelque chose clochait. À chaque fois qu’il observait une arme, il semblait vérifier les mêmes éléments dont le chargeur. Cherchait-il un calibre particulier ? Je détournais mon regard de lui sans, toutefois, baisser ma garde. Portant la cigarette que je tenais entre mes doigts à mes lèvres, je pris cette magnifique arme entre mes mains libres. Je passais mes doigts sur la lame affûtée, réparée avec soin par le propriétaire de la boutique, ayant l’impression que le métal dont elle était constituée ne s’était jamais rompu. Ce travail d’artiste, cette minutie dont faisait preuve ce vieil homme méritait bien ces billets que j’avais posés sur le comptoir.

-"Oui c'est amplement suffisant, merci bien, s'il y a quoique soit qui arrive à vos armes nous restons à votre disposition."

-« J’espère bien. Je désire des armes de grande qualité, rien de moins. Rares sont les boutiques qui puissent combler mes attentes. »

Attrapant délicatement ma cigarette avec mon index et mon majeur gauche, je resserrai mon emprise autour du manche de la dague de la main droite. Laissant une légère fumée franchir mes lèvres, je levais les yeux vers cet homme, se rapprochant du comptoir, y observant les armes situées à quelques pas de là. Sans un mot, je m’éloignais de la vendeuse, faisant un pas en direction de la porte, puis un deuxième, portant une attention à la présence de l’homme derrière moi. Puis, alors qu’il se tournait vers le comptoir, le léger cliquetis d’un chargeur s’enfonçant dans une arme parvint à mes oreilles à travers ce silence pesant. Je n’hésitais pas à tourner les talons d’un geste rapide, laissant tomber ma cigarette pratiquement consumée sur le parquet, afin de me retrouver derrière l’individu pointant l’arme en direction de la vendeuse. Ma lame passa sous la gorge du cambrioleur, lui intimant de baisser immédiatement cette arme.

-« La barrière entre la vie et la mort est très mince. Il se pourrait bien que tu la franchisses ce soir… »

L’homme resta paralysé, lançant de longues secondes s’écouler. Pendant ce laps de temps, la lame de ma dague se pressa contre sa chaire blanchâtre. Finalement, n’ayant pas d’autres choix que de lâcher son arme, l’individu laissa tomber cette dernière au sol. S’écrasant contre le parquet, à proximité de mon pied, je posais le bout de ma botte dessus, la rejetant en direction d’un mur opposé afin qu’elle soit hors d’atteinte. Devais-je tuer cet homme ou bien le laisser en vie ? J’entendais cette petite voix, cette pulsion dévastatrice m’ordonner de mettre fin à ses jours, de laisser le sang couler et se rependre dans la pièce la maquillant d’une couleur carmine telle celle que je revêtais en ce moment même. Par contre, mon esprit, ma conscience, tentait de me convaincre qu’il valait mieux pour nous tous que je libère cet homme. Ainsi, pas de meurtre, pas de témoins et encore moins d’ennuis. Quelle part de moi-même devais-je écouter ?