Sous Central, il se trame des événements sombres. Aisya l’ignore encore. Sous le quartier général, s’étendaient autrefois tout un labyrinthe de chambres qui étaient alors très actives. Le genre de pièces qui respirent la mort et la douleur. Pourquoi un tel sentiment envers ces lieux ? Autrefois, ils servaient de salles de torture pour les Ishbals habitant sur Central. On les capturait et ils étaient soumis à d’horribles interrogatoires visant à les anéantir et, plus officiellement, à obtenir toutes sortes d’informations sur leur territoire en guerre. En ces lieux macabres, on ne compte plus le nombre de torturés. Bien évidemment, cette affaire avait été étouffée. Il fallait avouer qu’elle ne faisait pas la fierté du gouvernement amestrien. Elle était même une énorme tache de sang sur la réponse à la question ishbale qui était déjà noyée dans l’hémoglobine.

Aisya n’avait pas eu l’occasion d’assister à une séance de torture. Mais elle avait pris soin de se renseigner auprès de certains témoins de ces horreurs. A croire que la boucherie au front ne leur avaient pas suffit, les cadres de l’armée avaient amené l’horreur jusqu’à eux. Horreurs qui étaient apparues comme un véritable mythe aux yeux de la jeune alchimiste. Et maintenant qu’ils étaient abandonnés, elle pouvait s’y rendre quand bon lui semblait. Aisya ne passait pas non plus ses journées sous terre mais elle avait réservé l’une de ces chambres pour une occasion bien particulière qui était dès maintenant à sa portée.

Elle n’avait pas pu se prêter à la torture de civils ishbals. Elle allait se rattraper avec Scar.

Scar.
Qu’elle avait attrapé sur sa propre terre.
Enfin.
Il était sien.

Après sa capture, Aisya n’avait pas demandé son reste et était tout de suite remontée sur Central, laissant Roy et le soldat rebelle en découdre. Le trajet s’était fait dans la plus grande discrétion. Officiellement donc, Scar était encore en liberté, bien loin des affres de la capitale et des alchimistes. La jeune femme le voulait pour elle seule, comme une petite fille et son jouet préféré. Etrange métaphore qui allait parfaitement au rictus de victoire qui arrachait présentement son visage hâlé. Elle traîna Scar donc dans les sous-sols, entra dans l’une des salles et referma la porte à double-tour. Les murs étaient épais, à l’époque, aucun civil ne devait être capable d’entendre les cris de douleur des victimes. De toute façon, Aisya doutait que Scar ne crie, il n’avait personne sur qui vraiment compter. Tout en l’attachant solidement à une chaise, elle le considéra avec une fausse pitié. Comme cet homme devait se sentir seul ! Plus de terre, plus de famille, plus d’amis. Même pas le moindre petit subordonné qui lui obéissait au doigt et à l’œil. Décidément, il l’atterrait plus que quiconque. Elle ne l’enviait même pas. Il s’attachait au passé comme une larve à un cadavre. Il vénérait les morts et tuait les vivants. Il ne valait pas mieux qu’elle …

L’alchimiste avait tracé un cercle alchimique autour de l’emplacement de la chaise, et avait fait en sorte que son bras tatoué ne soit en contact avec rien. Elle avait enserré son cou musclé dans un collier de fer et avait réitéré son geste pour ses bras et ses pieds. Il allait bientôt se réveiller. En attendant, elle ôta sa veste d’uniforme, rajusta le col de son haut noir sans manche et prit appui sur la table bancale située en face de la chaise, faisant glisser ses mains gantées sur la surface souillée par le sang et le temps du meuble. Elle frappa dans ses mains et asséna une décharge à son meilleur ennemi. Elle voulait lui faire mal. Lui prouver une fois de plus qu’il n’était rien dans ce monde. Lui prouver qu’il n’était la main d’aucun dieu de la vengeance. Lui prouver qu’il était un homme, un homme comme tous ceux qu’il avait tué. Un homme comme tous ceux qu’ils avaient tués.

Elle voulait savoir.
Ce qu’il y avait en lui.

I wanna know
What’s inside you

La violence entraine la violence.

Pendant son sommeil semi-coma, Scar avait des rêves enfiévrés. Le trajet entre Ishbal et Central fût court pour Scar mais il prît 2jours. Pendant ce temps, Scar était fermement attaché et sous une surveillance presque paranoïaque, précautions inutiles sur un homme encré profondément aux pays des songes.

L’espoir semblait avoir autre chose à faire que de parler à Scar, mais l’Ishbal n’abandonnait pas. Il ne pouvait croire à sa fin : il avait trop de choses à accomplir, trop d’âmes à sauver. Et le regard qu’il perçut de son ennemie n’était pas remplit de haine, mais de tristesse.
L’espoir vivait.

Le réveil était douloureux. Pire qu’une cuite particulièrement bien réussite. Ses nerfs se réveillèrent avec fortes protestations, son cœur semblait peiner et aucuns de ses sens de fonctionnais.
Mais Scar avait surtout soif. Son corps, même habitué à se rudes conditions souffrait.

Comme pour vérifier si tout était en place, son corps fût secoué d’un frisson, mais l’Ishbal réalisa que c’était du à un éclair. La peau encore en chaire de poule, le cerveau de l’Ishbal redémarra. A une grande vitesse, Scar compris sa position, ses entraves.
Scar ouvrit les yeux. Il vît Aisya, et soupira.

-« Encore toi … « dit-il d’une voix faible. « Je vois que nous sommes seuls et que je ne suis pas mort. Tu veux donc parler. Nous parlerons jusqu’à ce que mort s’en suive, mais avant je veux de l’eau. «

Il espérait ne pas se tromper et ne pas être allé trop loin, mais il ne pouvait parler sans eaux dans la gorge, et encore moins préparer un plan pour sortir sans trop de bruit. Mais pour aller où ? Scar remis ses idées en place non sans difficiles. Eh merde ! Scar en avait assez de courir seul.
Il avait une chance de transmettre au moins à une personne ses idées, il devait la saisir.

Aisya contempla le réveil de Scar avec plus de haine qu’autre chose. Elle ne devait pas sombrer dans la folie, comme au temps du génocide. Elle avait grandi, elle savait se contenir maintenant. Oui mais, en face de lui … Il était à portée de sa main, à portée de sa fureur. Elle pouvait le tuer si elle le désirait. Mais elle s’abstint. Pour le moment. L’homme, malgré le pitoyable état dans lequel il se trouvait, prit vite conscience de la gravité de la situation dans laquelle il s’était empêtré. La crainte ne se fit pas lire longtemps sur son visage. N’avait-il donc peur de rien ? Même pas de la mort ? La religion l’aveuglait-il à ce point ? Au point de croire qu’il n’avait plus rien à perdre ? C’est absurde. Comment pouvait-on être guidé par des convictions aussi irréelles et insaisissables ? Elle le croyait plus sage qu’un simple adorateur d’une divinité créée dans le seul but d’assujettir tout un peuple. Dans son enfance, Aisya aurait très bien pu être élevée selon la religion ishbale. Mais, étant donné que sa mère n’avait pas survécu, elle n’en sut jamais rien. Sa mère … depuis combien de temps n’avait-elle pas pensé à elle ? A quoi bon ! Elle n’avait même pas été capable de survivre pour sa fille ! A croire qu’elle n’en voulait pas … Naissance indésirable ? Impossible …

Et Scar, avait-il une mère ? Décédée sans doute, mais, comment était-il il y a vingt ans ? Avait-il à l’époque la moindre idée de ce qui allait lui arriver ? Que son peuple allait disparaître ? Que sa seule raison de vivre serait de tuer les alchimistes ? De la tuer, elle ? Elle qui aurait très bien pu être sa compagne de jeux dans les décombres ? Ils auraient pu être amis. Ou même plus …

Ah ! Quelles fabulations ! Aisya cracha sur ses pensées jugées trop sentimentales et revint sur l’Ishbal. Il insinuait qu’elle voulait parler. Il n’avait pas tort. Mais elle profiterait également de leur entrevue pour lui laisser sa marque de fabrication, comme lui et Lin avait fait en lui offrant cette immonde main rougeâtre et cette cicatrice au cou ... Hé ? Il demandait un verre d’eau ? Que manigançait-il encore ? Voulait-il encore s’enfuir ? N’en avait-il donc jamais assez, lui aussi ? Elle ne se laisserait pas faire ! Aisya ricana en secouant doucement la tête et soupira d’exaspération.

-« Ce sera tout ? Souhaiterais-tu également autre chose, peut-être ? Que je te fasse une petite danse ishbale ? Ou que je t’embrasse ? … »

Ses sourcils s’arquèrent et elle continua, d’une voix plus forte :

-« Mais pour qui te prends-tu, l’étranger ?! Tu n’es pas en position de me demander quoique ce soit ! »

La jeune femme émit un grognement. Cependant, elle s’aperçut de suite que l’Ishbal était au bord de l’évanouissement. Etait-ce vraiment un piège ? Elle voulait éviter d’avoir à le réveiller toutes les cinq minutes, tout de même ! Il devait être conscient lorsqu’elle manierait les instruments de torture ! Et puis, s’il tentait quoique ce soit, elle saurait le contenir, il était attaché, et elle non. La pièce était humide, elle n’eut pas de mal à transmuter une eau aux allures douteuses dans un gobelet de fer. Voilà qu’elle devait lui donner à boire maintenant ! Tous ses sens aux aguets, elle s’écarta du rebord de la table, posa deux doigts sous le menton de Scar et coinça avec une douceur qui lui était totalement inconnue le gobelet entre les lèvres charnus du prisonnier. De là où elle se trouvait, elle pouvait observer avec une précision alarmante le rubis de ses yeux cernés. On aurait dit que le sang de ses victimes affluait jusque dans ses iris. Son regard se posa ensuite sur sa propre main qui tenait le récipient. Une main en parfaite harmonie avec les yeux de Scar. Une main qui témoignait elle aussi du massacre qu’elle avait perpétré tout au long de sa vie … qui était loin de s’achever. Ou pas.

A semi-conscient, Scar avala l’eau qu’on lui tendait. Au début il but doucement, il faillit s’étouffer mais le contacte avec l’eau le réveilla et il apprécia ce verre malgré la qualité douteuse de l’eau. Comme tout remerciement, il grogna.

Son regard se posa sur l’alchimiste, encore proche de lui. La multitude d’émotions qui la traversait ne permit pas à Scar se deviner ses intentions dans son regard. Sa seule chance était d’être honnête, en plus d’une petite prière.

Quand Scar voulut parler, sa voix était enrouée mais elle s’éclaircit rapidement.
-« Que veut-tu savoir alchimiste ? La vérité ? Je suis juste un Ishbal fou furieux. Mon but ? Me venger. Que ferait-tu si ton peuple, ta famille, tous ceux qui te sont proches sont mort pour la folle d’un homme ? J’ai la chance de pouvoir détruire, alors je détruit.
Je suis un grand prètre de mon Dieu, mais je doit le renier pour avancer. Si je le clame lorsque je tue, c’est pour donner la peur à mes ennemis. Tout ce que je trouve comme moyens, je l’utilise.»

Scar dû faire une pause le temps que l’eau revienne a sa gorge. En levant les yeux, il ne pût toujours pas lire dans le regard de l’alchimiste.

-« Et si tu apprenait que ta si précieuse armée était pervertie par tes propres camarades ? Tes collègues alchimistes ventaient leurs mérites pour le meurtre des miens, et que se massacre n’est qu’un objectif dans un plan plus vaste. »

Scar jouait actuellement une carte maitresse. Il appréhendait la réaction de l’alchimiste …

Aisya posa le gobelet sur la table, sans faire attention à ce qu’elle faisait, trop absorbée par les paroles de Scar. Mais très vite, elles virèrent au sermon habituel et, lorsqu’il eut fini de se plaindre, elle abattit un poing rageur sur le visage émaciée de son prisonnier. La sensation de cette peau hâlée contre la sienne qui était sensiblement de la même teinte lui procura un grand bien. Voilà comment pouvait réagir son prétendu peuple. Elle ne faisait partie, qu’il le veuille ou non ! Une Ishbale pervertie par Amestris. Comme il l’aurait déploré s’il le savait ! Mais jamais, jamais il ne devait être au courant. S’il l’apprenait, elle serait à découverte et trop vulnérable. L’histoire de la jeune femme était pour elle un énorme fardeau qu’elle traînait, bien avant encore que les cadavres du génocide. Elle contempla la face de l’étranger qui se décomposa, pendant une demi-seconde. Sans attendre une quelconque autre réaction, elle se redressa et le toisa avec le plus de mépris qu’elle pouvait :

-« Tu n’as donc toujours pas compris ?! Ce n’est pas l’avis d’un peuple mort, ni celui d’un dieu imaginaire, ni celui d’un chien qui se croit en croisade que je veux, mais celui d’un homme ! Un homme qui est libre de penser, aussi insignifiantes soient ses réflexions ! »

Alors qu’elle déversait sur lui sa fureur, elle empoigna le col de sa tunique lacérée et planta son regard de cuivre dans les yeux sanglants de l’Ishbal. Elle aurait voulu le frapper, encore et encore, jusqu’à ce qu’il comprenne, même s’il y restait.

-« Tu t’évertues à clamer ta foi en tuant des hommes ! Ne vaux-tu donc pas mieux que les bourreaux d’Ishbal ?! Tu nous répudies en insinuant que nous vantons nos exploits sur le champ de bataille, mais crois-tu que nous avons le choix ?! Crois-tu qu'il est recommandable pour un militaire d'aller pleurer sur la tombe de nos ennemis ?! Cracher est tellement plus simple ! Comment comptes-tu effrayer tes ennemis en criant le nom d’un dieu perdu en qui plus personne ne croit ! »

Elle asséna un nouveau coup au visage de l’Ishbal et le tint de plus bel, ses mains tremblantes. Tremblantes de rage et s’attenant à se crisper autour du tissu miteux, comme si elle craignait de le lâcher et de le voir sombrer une fois de plus dans la folie inspirée par son dieu impie. Aisya se mordait les lèvres, tandis que des larmes de colère se cristallisaient au coin de ses yeux nimbés de rage. Soudain, s’en se rendre compte de l’impact de son geste, elle baissa la tête, pas en signe de défaite, mais par affliction et elle laissa échapper de ses lèvres mordues jusqu’au sang :

-« C’est sûrement cela qui nous différencie toi et moi : tu passes ton temps à pleurer les morts et à venger des gens qui n’auraient même pas fait attention à ta disparition. Tu te bats avec tes émotions, mais tôt ou tard, elles se retourneront contre toi … »

Elle releva son visage, ses cheveux épars autour de son visage hâlé, faisant comme une voûte céleste au-dessus d’un désert, lors d’une nuit des plus noires. Le maquillage noir cernant ses yeux avait un peu coulé, laissant des ébauches de calligraphie sur ses joues. Ses ongles toujours enfoncés dans le haut de Scar, une vague de violence commençait à revenir, alors qu’à ce moment, elle avait l’air presque humaine. A ce moment de souffrance. Humaine dans sa douleur. Monstrueuse dans sa force. Elle voulut lui lancer une belle décharge, histoire de remettre les idées au clair à tout le monde. Mais avait-il seulement saisi ce qu’elle voulait faire de lui ?

Aisya voulait deux choses :
Lui faire mal.
Le libérer.

Pour l’instant, elle avait réussi un peu à le faire souffrir et elle comptait bien aller plus loin. Pour ce qui était de le sauver, il y avait encore du travail. Ce n’était pas tous les jours qu’elle venait en aide à autrui. Et si elle s’y prenait toujours de cette façon, elle n’irait pas bien loin. Mais tout au fond d’elle, Scar était un cas désespéré. C’était un homme épris de justice mais qui ne savait pas s’en servir. Dans son enfance, il avait été un garçon plein d’avenir, il n’y avait pas de doutes. Plein d’avenir, comme elle. Et voyez ce qu’ils étaient devenus.

Dans un soupir, presque imperceptible, elle approcha son visage de celui de Scar et murmura au creux de son oreille :

-« Nous aurions pu faire de si grandes choses ensembles … »

Voilà, c’était dit.
Let it be.

Le coup de point pris Scar au dépourvu. Même s’il avait déjà pris de nombreux coups, celui-ci lui fît plus de mal que ce à quoi il s’attendait. Par habitude et parce qu’il avait envie de voir son regard, Scar fixa l’alchimiste. Il soutient son discourt et mémorisa toutes les paroles prononcés. Comme s’il attendait quelque chose.
Le deuxième coup ne se fit pas trop attendre et Scar encaissa mieux celui là. Retenu par son col, il aurait bien volontiers glissé sous la chaise pour éviter de se faire gronder comme un enfant. Cette image lui rappela son passé et il sentit ses résistances mentales faiblir.
Comme pour essayer de fuit, Scar tira sur ses liens mais ceux-ci résistèrent. Le nœud était simple et efficace.

Sa concentration repartie sur Aisya. Cet alchimiste le touchait de plus en plus. Elle semblait se mettre dans un état incroyable. Elle semble l’imaginer le tueur en fanatique. Oui était encore fou de haine, mais sa religion n’avait plus d’importance pour le terrible objectif qu’il s’était fixé.
Les coutures de sa chemise craquèrent. Ce qu’elle lui murmura à ses oreilles le laissèrent abasourdit. Il retomba mollement sur le dos de la chaise. Ses pensés allèrent à toutes vitesses.
Eux ? Ensemble ? Pour quoi faire. Il ne voulait pas partager un fardeau si important, quelque chose qui vous change l’âme. Ne devait-elle pas le tuer ? Est-ce un piège ?

-« Je ne peut oublier les croyance de mon peuple, j’ai aussi perdu espoir de le voir renaitre. Je tue des alchimistes parce que j’en ait le pouvoir. Pourtant tu obstine sur moi tel un professeur devant un élève capricieux. Que sais-tu de mon peuple et des souffrances endurée ? Qui es-tu, Aisya l'alchimiste ? Ou autre chose ? «

-« Qui suis-je ? Qui … »

Tandis qu’Aisya s’éloignait petit à petit de Scar pour reprendre sa position initiale, elle émit un faible rire guttural. Quelle question ! Pourquoi devait-elle arriver maintenant ? La vérité : elle aurait pu être de sa famille, ou une camarade de jeux. La vérité : elle était son bourreau. La vérité : elle obéissait à une armée en laquelle elle ne croyait plus. Mais la vérité était irrévélable. Mentir était bien plus simple. Elle l’avait déjà fait tant de fois. D’ailleurs, elle était sur le point de sortir une fausse histoire lorsque son regard se replongea dans celui de son confrère. Que faisait-il ? Il la sondait ? Qu’avait-il en tête ? En quoi apprendre d’où elle venait pouvait arranger la terrible situation dans laquelle il se trouvait ? Méritait-il seulement la vérité ? Aisya se sentit mal. Quelque chose clochait : comme si elle n’arriverait pas à lui mentir. A moins qu’elle n’en ait pas l’envie. Ridicule ! Avec lui, elle était capable de tout : même de révéler chacune des faces de son être en quelques minutes comme elle l’avait fait juste avant. D’habitude, elle savait exactement comment se comporter avec chaque personne qu’elle croisait. Là, c’était différent : jamais encore elle ne s’était mise si vite dans tant d’états. Scar, qui était-il ? Qui était-il pour avoir de tels effets sur un être si monstrueux ? Pourquoi n’était-il pas comme tous les autres ? Pourquoi ne pouvait-elle pas le faire souffrir en paix ? Avait-il décidé de résister jusqu’au bout ? Ah ! Comme elle l’abhorrait ! Et pourtant, plus elle le considérait, plus un sentiment étrange, une vague de sensations envahissait son corps, pétrifiant ses jambes, engourdissant ses doigts, glaçant sa poitrine et désintégrant son cœur de pierre. N’en avait-il pas assez de jouer ainsi avec elle ? S’en rendait-il seulement compte ? Oui, très certainement. Mais l’alchimiste aussi aimait jouer avec ses proies. De ce fait, lorsque la vague de sentiments inconnus s’estompa un peu, sa violence et sa rage reprirent le dessus et, s’installant contre la table, elle reprit :

-« A quoi bon savoir qui je suis. Enfin, souhaites-tu vraiment le savoir ? Je n’en doute pas. »

Elle le toisa du regard, croisa les jambes, les mains appuyées sur le rebord de la table :

-« Pour beaucoup, je suis « cauchemar ». Pour certains, je suis « avenir ». Ou encore « monstre ». Mais à l’origine, je suis « batarde ». Nous sommes pareils toi et moi : têtus et nés sous le même signe … Hélas, toi, tu t’es entiché d’un dieu bidon et moi j’ai été aveuglée par une armée maudite. Nous sommes tous deux rejetés par Mère Fortune. Quel dommage ! Alors que faisons-nous ? Pourquoi ne pas unir nos forces contre cette Chance qui ne veut pas se donner à nous ? Je ne te demande pas que nous devenions amis, seulement collaborateur dans notre lutte contre l’humanité. Vue ta position, tu n’as pas vraiment le choix, l’Ishbal. Je ne suis pas immortelle et compte bien faire quelque chose de ma vie. Alors, soit tu refuses, et je te défonce ici-même, soit tu acceptes et tu pourras revoir la lumière du jour à mes côtés. Mais dans les deux cas, ce ne sera pas sans conséquences. »

Elle tendit la main symboliquement, même si l’étranger n’avait aucun moyen de la saisir. De loin, très très loin, on aurait pu croire à une demande en mariage … Mais vraiment de très loin. De toute façon, elle n’avait plus rien à perdre avec lui, s’il ne se décidait pas à lui prouver sa vraie valeur. Toutefois, alors que ses doigts se tendaient vers Scar, la vague de sensations qu’elle n’avait jamais éprouvé réapparut et dévasta tout sur son passage : un flot de haine, de considération, de violence s’abattit dans son esprit. Mais qu’était-elle en train de faire ? Ses doigts se crispèrent et, dans un élan qui aurait pu être aussi bien de la haine que de l'affection, elle frappa du poing l'Ishbal en plein visage ... Une nouvelle fois, elle perdait le contrôle de ses émotions. Que se passait-il ? La chaise électrique montrait-elle des signes humains ?

Scar resta de marbre tout le long du temps de parole de l’alchimiste.
Scar était en colère contre quelque chose qu’il n’arrivait pas à définir, une frustration intérieure. Il essaye de tirer à nouveau sur ses liens. Ils se resserraient ! Cette femme savait faire les nœuds. Malgré tout, Scar récupérait de sa prise d’otage et ses forces revenaient dans ses bras. Il devrait pouvoir suffisamment tirer sur ses liens pour toucher la chaise et la faire exploser.

*Nés sous le même signe ! * pensa-t-il. * Cette fille est pleine de surprises. Je commence même à bien l’aimer. *

*Une alliance ? Quelle idée ! On s’entretue puis on se fait la bise. Mais elle sait argumenter*

La main tendue d’Aisya troubla Scar. La scène lui rappelait drôlement un mariage, ou un pacte. Une étrange chaleur réchauffa son estomac et serra son cœur. Il lui sembla, juste un instant, être de retour chez lui dans une Ishbal libre et florissante. Chez lui, avec cette belle femme. Si seulement …

Il ne sentit pas le coup venir. Le poing de l’alchimiste faillit lui déboiter la mâchoire tant ses muscles étaient détendus. Et même plus, la chaise perdit l’équilibre et il tomba le visage sur le sol.
Le coup qu’il a reçu et la fraicheur du sol lui firent revenir à la réalité. Il était prisonnier, il voulait sortir.
Par chance, le fait d’être tombé lui permit d’agripper ses liens ! Il pouvait à tout moment se libérer maintenant. Scar lança son alchimie et ses liens volèrent en éclats dans une brume de poussière mêlée d'éclairs rouges. Il se leva précipitamment et attrapa la main rouge d’Aisya dans un même élan .

Son visage exprimait la colère et quand ses yeux rencontraient ceux de l’alchimiste, il se détendit immédiatement. Il lui sembla voir un mélange de surprise, de déception profonde, de tristesse même. Scar ne put que baisser les yeux et il vit alors la main qu’il tenait. Ses souvenirs se bousculèrent - les égouts, un Xinois, une bataille - et il comprit qu’il était à l’origine de cette main.

Un triste sourire se dessina sur le visage de Scar. Il prit délicatement sa main et lui déposa un baisé sincère, toute violences disparus

-« Mes sincères excuses pour cette main. Je refuse de collaborer avec un alchimiste, c’est définitif. Mais je m’allie volontiers à ceux et celles qui n’ont pas, ou plus, d’attaches militaires. Qu’en dites-vous, Aisya la foudroyante ? «

Scar laissa lentement partir la main qu'il tenait. Il était prêt à prendre un risque majeur.

Ah ! Elle l’avait frappé trop fort ! A moins que l’Ishbal n’ait profité de l’occasion pour faire basculer sa chaise afin de s’effondrer par terre. A quoi cela l’avançait-il ? De toute manière, il aurait pu se détacher devant elle, Aisya n’aurait rien remarqué. Juste après l’avoir frappé et comprenant son erreur et sa faiblesse humaine, l’alchimiste, le bras toujours tendu, avait commencé à se recroqueviller sur elle-même, comme si elle était prise de convulsions à l’estomac. Sa main encore intacte passa sur ses yeux grands ouverts avant de venir enserrer avec rage le tissu rugueux de son vêtement, à l’emplacement de son ventre, là où la Femme portait l’Enfant. Cette vague de sentiments inconnus, cette montagne d’humanité venait de s’écraser dans son organisme. Etre humain faisait-il si mal ? Comment s’y prenaient tous ces gens pour porter le sceau d’Homme ? Pourquoi s’acharnait-on à l’écarter de ce genre si convoité ? La Fortune la détestait-elle à ce point ? L’alchimiste ne pouvait plus contenir sa haine et sa mélancolie. Elle voulait la déverser sur quelque chose, ou quelqu’un. Elle voulait être consolée. Elle voulait qu’on l’aide. Mais elle terrifiait tellement qu’on en oubliait ses faiblesses et ce fond humain qui subsistait, comme au fond de ce verre posé sur la table. Ses doigts se crispant un peu plus, elle était prête à se venger sur Scar lorsque des éclairs rouges vinrent zébrés l’atmosphère. Dans l’état dans lequel elle se trouvait présentement, elle ne fit pas tout de suite le lien mais elle revint sur Terre lorsque l’Ishbal, enfin libre, s’empara de sa main carbonisée.

Quoi ?! L’alchimiste de foudre revint en mode combat, celui qu’elle arborait le plus facilement. Pourtant, ses jambes étaient sur le point de se dérober sous elle. C’était fini. Pour son bras. Scar allait terminer de détruire ce qu’il avait commencé auparavant dans les égouts. Si elle ne mourrait pas de l’hémorragie et qu’on la retrouvait à temps, on lui fixerait un immonde auto-mail à l’épaule. Si Scar ne la tuait pas. Le cerveau du colonel échafaudait toutes sortes de plans plus foireux les uns que les autres. Sa vie ne défila pas devant ses yeux. Cela ne s’était produit qu’une fois, en dehors d’Ishbal et elle s’était promis que jamais, plus jamais, elle ne se prêterait à cette séance de regrets. Tous ses muscles étaient tendus et ses pupilles presque dilatées. Elle fut sur le point de joindre ses deux mains lorsque l’Ishbal entreprit de faire un geste qu’elle ne s’imaginait pas, même dans les scénarios les plus improbables.

Dans un geste lent et presque serein, Scar déposa ses lèvres charnues sur la surface brûlée de sa main presque morte. Il s’excusa de manière tellement sincère que cela finit d’achever Aisya qui n’avait jusqu’à présent presque jamais eu le droit à ce genre de discours. Si, peut-être une fois, à l’infirmerie : Lin s’était excusé. Pour la même raison. Ou presque. Ainsi donc, seuls ses ennemis prenaient la peine de lui demander pardon. Quel comble ! Normalement, seulement des gens du même camp se permettaient ce genre de tendresse. Les gens du même camp … Et s’il était là, son véritable camp ? S’il était celui de Lin et de Scar. Jamais encore l’idée ne lui avait traversé l’esprit. Ce fut seulement lorsque l’homme à la cicatrice se pencha vers elle et effleura sa blessure qu’elle prit naissance. L’homme à la cicatrice. Une phrase qu'elle avait elle-même prononcée lui revint en mémoire :

-« Nous sommes pareils toi et moi : têtus et nés sous le même signe … »
Et brisés par des cicatrices.

Alors était-ce ça ? Devait-elle faire alliance avec lui ?
Elle ne pouvait plus raisonner. Au fond d’elle, son cœur de pierre battait à tout rompre, manquant d’exploser hors de sa poitrine. Elle s’était remise à trembler, ne sachant que faire dans cette situation de galanterie entre ennemis. Tout ce qu’elle fut capable de faire, fut d’extraire sa main de celle de Scar, violemment, sans pour autant qu’il la retienne. Elle la porta contre elle, l’étreignant de sa main encore en vie, étreignant ce cœur qui voulait s’exprimer.

-« Ah … »

Etait-ce un rire, une lamentation, un soupir ? Peut-être les trois en même temps. Peu à peu, elle reprit le dessus sur ce qu’elle pouvait saisir dans son être et répondit en affichant un sourire sardonique qui sonnait presque faux avec sa silhouette frissonnante.

-« Ainsi … il faut que je laisse tomber cette armée maudite en laquelle j’ai crue pendant de nombreuses années pour avoir une chance de te sauver de ton dieu menteur ? Comme c’est étrange. Si j’avais été un bon soldat, je t’aurais tué pour ce sot marché. Mais j’ai comme l’impression de ne pas vouloir refuser … »

La voix de Scar était incroyablement calme. Comme si, l’instant de quelques secondes, toute haine qu’il éprouvait jusque là pour elle avait disparu. Lentement Aisya se redressa, détachant un à un ses doigts qui s’étaient emmêlés. Il ne l’avait pas tué. Pas encore. Elle lui devait au moins ça. Même si, comme elle l’avait dit, au fond d’elle, l’idée de faire équipe avec lui ne lui paraissait plus aussi horrible qu’avant.

-« Et … collaborer avec une chaise électrique en quête de deveir humaine, qu’en dirais-tu ? »

Elle était maintenant complètement debout, la tête légèrement sur le côté, ses yeux de soufre plongés dans ceux de rubis de l’étranger, et un étrange sourire encore jamais vu, accroché à sa peau hâlée. A son épiderme de fille d’Ishbala.

Scar laissa la main de l’alchimiste partir, presque à contrecœur. La vision de cette femme serrant sa main qu’il avait meurtrie le bouleversa. Son but n’était pas de faire souffrir les gens inutilement. Il avait choisit de tuer, un choix qu’il remettait en question chaque jour que Dieu faisait. Mais là plus encore, son choix lui parut idiot, contraire à ce qu’il croyait au fond de lui et à ses envies.

-« Mon Dieu n’est pas mensonges. Il nous rend bon et nous aide à vivre dans notre terre difficile. Enfin notre ancienne terre. «

Puis ce que dit l’alchimiste le troubla. Devenir humaine ?
Il la regarda de haut en bas. Pour la première fois, il regarda réellement cette femme. Tout d’abord sa couleur de peau le fît douter un moment. Avec l’éclairage miteux, il était difficile de bien évaluer le teint. Ensuite son regarde dont il sembla reconnaitre l’esprit qui habite ceux de sa race, indomptable. Son cou, ses épaules, ses mains, son corps, ses jambes ... Il devait en être sur.

-« Une chaise électrique dit-tu. Je ne vois pas de chaise électrique mais une femme alchimiste qui semble perdue. Tu as du sang de ma race dans tes veines, n’est-ce pas ? «

Scar se rapprocha d’Aisya lentement, pour être assez proche pour sentir son odeur et plonger ses yeux dans les siens. A se moment là, il sut que : soit ils sortaient ensemble de cette pièce, soit personne ne sortirait. Il y avait ici une femme qui a le pouvoir de le faire réfléchir d’hésiter.
Il sembla passer une éternité quand enfin sa réponse arriva.

Toute religion était basée sur des faits improuvables. Que ce soit celle des Ishbals ou de Léto. Scar n’avait pas l’air de vouloir lâcher le morceau. L’alchimiste devrait donc le lui prouver autrement. D’une manière plus convaincante qu’il ne pourrait réfuter. Elle devait lui prouver que la seule forme d’avenir résidait en l’Homme lui-même, et non dans une entité invisible. Elle s’étonnait encore que l’homme à la cicatrice ne laisse pas tomber ses positions. Mais l’heure était plus grave. Pour l’instant, ils n’étaient que deux dans cette pièce. L’un des deux pouvait encore y rester, mais étant donné l’étendue de leur force, ils y resteraient tous les deux s’ils en décidaient ainsi. Mais du côté de Scar, il avait l’air apaisé, pour le moment. Aisya ne le reconnaissait plus. Et lui non plus ne devait pas la reconnaître. Etait-ce pour cela qu’il se mit à contempler chacune de ses formes ? Elle l’ignorait mais cela ne la troubla pas. Du moins, elle ne s’en aperçut qu’à peine. Peut-être faisait-il le bilan des dégâts que la folie avait engendré sur elle ? Peu importe car la jeune femme ne s’était jamais vu comme telle : elle n’était que machine de guerre. Mais on pense qu’elle aurait aimé être troublée sous ce regard. Elle aurait aimé ressentir tout ce qu’elle ne ressentait pas. Dire tout ce qu’elle ne disait pas. Aimer tout ce qu’elle n’aimait pas. Cependant, ce que répondit Scar par la suite, lui fit écarquillé les yeux, tant sa réaction était différente de ce qu’elle imaginait, une fois de plus.

Il ne voyait pas en elle une chaise électrique, mais bien une femme. Une femme. Un être humain. Il voyait un être humain. Comment ? Comment faisait-il ? Comment faisait-il alors qu’elle-même ne voyait dans le reflet du miroir qu’une arme de destruction ? Où était le problème ? Etait-ce à cause de son regard ? Réussissait-il à déterminer la nature de tout Ishbal devant lui ? Mais pourtant, il ignorait d’où elle venait ! Il lui demanda même s’ils venaient du même pays … Aisya qui était encore ébahie de la condition qu’il lui avait affublé secoua la tête, comme si elle voulait dissimuler le teint hâlé de sa peau, ou la vigueur de son regard. Lorsqu’elle releva la tête, Scar s’était rapproché, comme s’il voulait confirmer ses dires lui-même. En sentant le souffle ardent de l’Ishbal sur elle, un frisson d’effroi parcouru son épiderme. Elle avait chassé l’idée qu’il voulait la tuer. Mais alors, qu’allait-il faire ? Rien, jusqu’à ce qu’elle lui donne une réponse. Mais elle ne pouvait mentir. Il était trop près d’elle. Comme si la distance facilitait le mensonge. Elle laissa échapper un long soupir et alors qu’elle allait tout lui révéler, son regard d’or dévia de celui de l’étranger qui ne l’était pas.

-« Autrefois, un homme vivait à Dublith. C’était un ancien militaire qui avait fui l’armée le plus vite possible. Seulement, la guerre l’a rattrapé. Elle est venue frappée à sa porte. Une femme. A la peau de charbon et aux yeux de feu. Une Ishbale. Qui s’était enfuie elle aussi. Deux fugitifs. Ensembles. Je crois qu’ils eurent un fils. Qui s’en alla. Dans l’armée. C’est stupide, non ? Puis une fille arriva. Son arrivée engendra le départ de sa mère. Elle en souffrit. Au point qu’elle voulut renier ses origines. Ses origines de bâtarde. Elle aussi s’en alla. Elle n’eut pas le choix. Sa nouvelle famille : l’Armée. Elle grandit. Sa haine aussi. Je ne sais pas ce qu’est devenue cette fille. Je crois qu’elle cherche quelque chose. Ou quelqu’un. Et toi Scar, est-ce que tu cherches quelque chose ? »

Elle essaya d’affronter ce regard rougeoyant qu’elle avait, auparavant, défier sans hésitation. A l’époque où il la considérait comme un ennemi, tout était plus facile … Comme il était compliqué de jouer les humains !

Scar sourit à la question. Il s’éloigna un peu de l’alchimiste, comme pour mieux réfléchir. Il ne se sentait pas si sur de lui prés d’elle, un peu de distance l’aida à réfléchir à sa réponse.
Mais celle-ci était évidente, il l’avait tant médité.

-« Un avenir pour mon peuple me semble impossible. Alors je le venge ! « .

Puis il se figea. Cette réponse ne lui convenait plus. Quelque chose de nouveau était entrée en jeu : une ishbale ! Finalement, son peuple avait une chance peut-être.

-« Mais nous sommes si peu … « murmura-t-il

Un peuple opprimé, chassé ne pouvait espérer revivre. Son raisonnement commença à se modifier. Cette femme réveilla en lui un espoir autrefois éteind. Une flamme s’alluma en Scar. Il voulait tant y croire … Avec elle, il pourrait peut-être faire entendre raison à cette nation en guerre contre sa race. Avec elle, il pourrait rassembler son peuple ! Avec elle, il pourrait rebâtir une cité ! Avec elle …

-« Non. Je ne cherche pas une vengeance. Il y a de nouveaux paramètres à prendre en compte. Je cherche un avenir pour mon peuple. Mais que vas-tu choisir ? vivre en esclave militaire, ou ressusciter un peuple désespéré et oppressé avec un moine tueur ? Quel sang choisi-tu d’aider ?"

Scar n'était plus si sur de lui. Une femme allait décider de son avenir ! Qu'est-ce qu'il n'aimait pas confier son avenir à quelqu'un ! Mais, cette fois-ci, il avait une chance de réussir.
Autrement, si la réponse ne convenait pas ... Scar était assez proche pour porter le premier coup ...

Vengeance, vengeance. Il n’avait que ce mot à la bouche. Ne vivait-il donc pas pour autre chose ? N’avait-il jamais pensé à vivre pour autre chose ? C’était sans doute pour ça qu’ils se battaient l’un contre l’autre ; leurs objectifs étaient parfaitement opposés. C’en était presque louche. Aisya était sur le point de riposter une nouvelle fois, les yeux levés vers le plafond miteux lorsque Scar reprit la parole. Et cette fois-ci, tout changea. Il ne parlait plus de vengeance mais d’avenir. Quel utopiste ! pensa-t-elle. Croyait-il qu’elle allait se rallier à sa cause si facilement ? Elle s’en moquait et se moquerait éternellement du peuple ishbal. Qu’avait-il de mal à dire qu’un peuple mort est mort ? Scar se raccrochait au moindre signe d’accord. Mais il savait encore garder ses distances avec elle et n’avait sans doute pas oublié que quelques minutes plus tôt, elle voulait encore le tuer. Pourquoi ? N’était-ce plus le cas ? Aisya ne savait plus trop. D’un côté, cela la tiraillait de le réduire en cendres, là tout de suite, après tant d’années de poursuite. Mais d’un autre côté, que ferait-elle une fois qu’il aurait disparu ? A qui consacrerait-elle son énergie à poursuivre ? Un héros de guerre ne vit qu’au travers de ses ennemis. Il en était ainsi. Et l’inverse marchait également. Scar s’était-il déjà posé la question de ce qu’il ferait après avoir tué tous les alchimistes d’état. Remettrait-il enfin sa raison de vivre en cause ? Ils avaient besoin l’un de l’autre pour exister. Vivre, ça, ils pouvaient le faire seul.

Toujours la jeune femme aurait cette irrépressible envie de le tuer. Peu importe le pacte qu’ils passaient. Mais d’un côté, que pouvait-on espérer de mieux ? Ce qu’Aisya ne voulait pas supprimer, elle ne faisait aucunement attention à eux.

-« Ne t’enhardis pas trop vite l’Ishbal. S’il y a une cause que je veux bien servir, ce sera la mienne. Ce n’est pas parce que je ne t’ai pas encore tué que tu dois te réjouir si vite. Et il en est de même pour moi. En quoi me voir abhorrer cette armée t’a-t-il rendu si espérant ? Je n’ai que faire des Ishbals, autant que je me moque du sort de plus d’un millier de soldats. Si tu crois en un pacte entre nous, tu te trompes en grande partie. Je parlerai plutôt de trêve. Je veux bien t’aider, dans la mesure où cela peut me servir aussi. Puis, quand l’un de nous aura atteint son but … et bien … j’ignore ce qu’il adviendra de l’autre. »

A ce moment, on pouvait distinguer avec une facilité déconcertante la crispation de chacun. Ils paraissaient tous deux sur leurs gardes, prêts à frapper. Mais si cela devait arriver, qu’allaient-ils frapper ? Un ennemi ? Ou quelqu’un d’autre ? Pour sa part, Aisya n’avait dans la vie, que des ennemis, des subordonnés ou des concurrents. Sa famille, elle ne voulait plus s’en souvenir : sa mère était morte à cause d’elle, elle ignorait si son père était encore en vie ou s’il se repaissait de sa folie, et si elle possédait seulement un frère. Et, en y réfléchissant bien, il n’y avait qu’avec des gens qu’elle ne portait pas dans son cœur, qu’elle avait un semblant d’existence. Car tout comme l’homme le plus puissant du monde, Aisya n’était rien. Seulement une ombre d’air et de poussière. Une ombre dans un tombeau d’étoiles.

La jeune femme serrait le poing qu’elle avait posé sur la table et considérait l’Ishbal avec ce sempiternel air de défi, celui qu’elle affichait le plus facilement. Leur jeu n’était pas fini. Une nouvelle manche pouvait s’engager s’ils décidaient de se laisser en vie tout deux. L’option de mourir ici et maintenant avait-elle traversé l’esprit de Scar ? Peut-être. Comme elle avait effleuré l’esprit de Jasdero. Mais trop de choses restaient encore incomprises. Aisya n’était peut-être qu’une ombre, mais elle souhaitait laisser une trace, une tache de son passage dans ce monde au destin funeste. Et cette marque, peu importe avec qui elle la laissait, du moment qu’elle s’encrait bien au plus profond des mémoires et des cœurs … Elle voulait tacher, elle voulait souiller ce qu’elle n’avait pas pu, pas su avoir …

Scar souffla.

Quelle femme étrange il avait devant lui ! Il ne pouvait comprendre qu’elle ne souhaitait pas défendre ca race mais il comprenait son esprit borné quant à la réalisation d’un objectif. Mais entre temps, c’est cet esprit borné qui bloquait Scar. Que faire ?
Scar n’arrivait pas à se résoudre à attaquer. Pour la première fois, il parlementait avec un alchimiste. Mais pour quoi ? Un simple cessez le feu est in envisageable pour l’armée Amestrienne, encore moins un accord de paix. Mais agit-elle pour l’armée ou pour elle-même ? Scar ne savait que penser. D’ailleurs il y a bien longtemps qu’il a choisit de tuer avant de parler, il ne savait pas bien parlementer, contrairement à tuer.
Scar aurait bien voulut attaquer pour chasser le doute, mais l’espoir d’en tirer quelque chose était plus fort.

-« Une trêve ? Pourquoi pas. C’est mieux que rien. Mais avant cela, quel est ton objectif alors ? Est-il en accort avec le miens ? Sache que je ne travaillerais pas pour l’armée qui a attaqué mon peuple, même si c’est une Ishval qui me le demande ! «

Aisya eut un rictus nerveux lorsque Scar prononça le terme « ishbal » à son intention. Jamais encore, quelqu’un ne l’avait qualifié ainsi, pour la simple et bonne raison que personne encore ne savait qu’elle en faisait partie. Elle ne tolérerait pas que le tueur en série n’abuse de ce secret qu’elle lui avait confié. Si elle avait fait ça, c’est parce qu’elle n’avait pas vraiment eu le choix ; il ne fallait pas oublier que, quelques minutes plus tôt, l’un et l’autre étaient sur le point de se tuer. Toutefois, les événements avaient bien vite pris une autre tournure et les ennemis de jadis étaient maintenant prêts à s’allier. Passant une main sur son visage, avant de la glisser dans ses cheveux aux allures d’ailes de corbeaux, elle répondit, les sourcils légèrement rehaussés :

-« Mon objectif ? En accord avec le tien ? Cela m’étonnerait fort ! Ils sont sots les Hommes qui se fixent un même but. Surtout quand il s’agit d’ennemis. Ne te fais pas trop d’illusion, Ishbal. Cependant, je crois comprendre le véritable sens de ta question ; nos objectifs ne sont certainement pas en accord, néanmoins, ils ont des phases communes … »

L’alchimiste d’état fit craquer chaque articulation de ses doigts gantés, gardant son attention sur Scar immobile. Elle afficha un sourire sarcastique et révéla :

-« Au point où j’en suis, je peux bien te divulguer un autre de mes petits secrets … »

Elle s’étira les bras, faisant rouler ses muscles fins sous sa peau cuivrée, comme si ce qu’elle allait dire était la plus ordinaire des banalités. Et c’était loin d’être le cas. En fait, elle prenait le risque de l’annoncer ainsi car elle avait la certitude de parvenir à ses fins. Jusque là, toutes les grandes lignes qu’elle s’était mise au défi d’accomplir, elle les avait réussies. Mais ça n’avait pas été sans risque. En conséquence, elle avait une bonne partie de l’armée à dos, une autre qui l’admirait certes, mais cette dernière était plus infime. Cependant, le nombre ne faisait pas la force. Les alchimistes d’état en étaient la preuve vivante : ils avaient été à peine une vingtaine lors du génocide et avaient réduit à néant une bonne partie de la population. Beaucoup s’en étaient rendu compte. C’était d’ailleurs pour cette raison que Scar s’en prenait seulement aux possesseurs de la montre en argent ; c’étaient eux les véritables monstres. Mais comme on le savait si bien, Aisya n’était pas de ceux à s’apitoyer sur son sort. Elle l’avait été, certes, à l’époque, lorsqu’elle ne faisait pas encore partie de cette famille de monstres-là. Finalement, elle passa ses bras derrière sa nuque et répondit :

-« Je veux … le pouvoir ! Je veux conquérir la tête de l’armée d’Amestris. Je veux renverser son actuel Généralissime afin de prendre sa place. Je veux ce mérite auquel je n’ai pas encore eu droit en totalité ! »

Ses doigts se crispèrent dans son cou, prêts à exploser la peau qu’ils enserraient. Pendant un instant, on eût pu croire que Scar perdait de vue la jeune femme avec qui il s’entretenait tant bien que mal jusque là. Pendant un instant, elle aurait facilement pu rivaliser avec Greed. Pendant un instant son visage se décomposa. Pendant un instant seulement. Car elle se souvint. Tout ce qui s’était passé ici, dans cette pièce exigüe aux relents de la mort et de la douleur. Tout ce qu’elle lui avait dit. Tous les états dans lesquels elle s’était mise. Il persistait quelque chose au fond d’elle, quelque chose jamais ressenti encore. Elle ne savait donc pas tout. Pas tout, à propos d’elle-même. Et pour l’instant, il n’y avait eu qu’en présence de Scar que cette chose inconnue avait eu l’air de se manifester. Elle devait donc continuer de poursuivre son chemin avec lui, même si les représailles ne faisaient que sombrer dans le sommeil.

Leur entretien touchait à sa fin. Ils devaient maintenant se séparer. Aisya, qui avait retrouvé son expression stoïque et sévère se leva, s’approcha de la porte qu’elle déverrouilla. Aurait-elle pensé faire ce geste, alors qu’ils étaient encore deux en vie dans cette salle ? Un changement, une fois de plus. Mais étrangement, cela ne lui fit pas plus d’effet que ça. Alors qu’elle faisait jusque là face à la poignée, elle se retourna brusquement vers Scar et déclara d’une voix forte, tout en frappant dans ses mains :

-« Au fait, j’allais oublier ! »

Elle se précipita sur lui et grâce à son alchimie lui engourdit les bras. Elle le jeta contre le mur le plus proche et bloqua sa gorge à l’aide de son bras gauche. De l’autre, elle s’empara d’une lame qu’elle possédait toujours sur elle –en cas de mutinerie- et enfonça la pointe de l’arme sur le torse de l’Ishbal. Malgré l’opposition de l’étranger, elle réussit à graver dans une blessure qui ne lui serait pas mortelle, un éclair primaire, comme le dessin d’une enfant. Du sang chaud s’écoulait de la plaie, à mesure que Scar respirait. La jeune femme contempla pendant un instant son œuvre, absorbée par le liquide rubicond, arborant la même couleur que les yeux du criminel. Que les yeux de sa mère. Approchant son visage de celui de Scar, elle murmura d’un ton moqueur :

-« Avec ce petit souvenir, tu ne pourras plus m’oublier. Si jamais l’envie te vient de t’enfoncer un poignard dans le cœur, parce que tu en as assez de l’existence que tu mènes, ce que je comprendrai parfaitement, tu ne pourras pas car je serai toujours là pour te rappeler la peine que tu endures … Maintenant, tu es à moi … »

Cette déclaration n’avait pour Jasdero aucune connotation affective. C’était seulement un moyen pour qu’au moins une personne au monde n’oublie pas le monstre qu’elle persistait à être …

Scar s’était raidit en attendant la réponse d’Aisya, et quand elle lui révéla ses intention, cela lui coupa le souffle. Scar ne s’attendait pas à une telle révélation. Machinalement, il fit rouler les muscles de ses bras, comme pour évacuer la pression.
Renverser le généralissime ? Cette idée ne déplut pas à Scar. La tête de celui qui a ordonné le massacre de son peuple ne pouvait que le faire sourire.
Mais son sourire s’évanouit rapidement. Elle cherche du mérite ? Elle cherche à être reconnue. Scar repensa à son frère qui le suivait comme une ombre, qui n’avait pas le même succès que lui. Son frère cherchait-il le pouvoir ? Surement pas. Il aimait être discret pour être tranquille. Est-ce cette solitude que fuyait l’alchimiste ?

Voyant que leur entrevue, qui avait commencé par une séance de torture en règle pour rappel, allait vers sa fin, Scar voulut ajouter une dernière chose, mais il ne trouvait pas ses mots. Il se revoyait déjà à vagabonder seul et à traquer un alchimiste. Il se surprit à sursauter quand Aisya se retourna.
Or son sursaut n’était pas entièrement naturel, il sentit l’alchimie de la femme courir sur son corps et paralysant ses bras. Aussitôt Scar chercha à s’en défaire, et à combattre la menace. On ne pouvait changer ses habitudes. Il fût malheureusement pris de court et se retrouva plaquer contre le mur, la gorge écrasée et le torse en sang.
Il entendit confusément le dialogue de la femme, son esprit était torturé entre le fait d’avoir confiance en cette femme et sa propre survie. Son esprit choisit.

Avec un regain de force et de volonté, l’esprit concentré sur la douleur, Scar lança son bras tatoué vers l’alchimiste alors toute proche.
Sans en avoir conscience, il attrapa pleinement un sein de la femme et lança son poids de l’autre côté. Ainsi, Scar maintenait l’alchimiste contre le mur, son regard de chasseur la fusillait et son bras luisant était sur le point de lâcher son alchimie destructrice.
Mais il ne fît rien.
Il laissa sa respiration retombé, et pris conscience de sa situation. Il relâcha la poitrine de l’alchimiste avec un mélange de honte et de colère et de dégagea.

Lentement il marcha vers la chaise où il était autrefois ligoté et s’assit lourdement. C’est avec des gestes expérimentés qu’il déchira sa chemise et exerça une pression sur la plaie dont il distinguait à peine le motif.
Ne voyant aucunes réactions de l’alchimiste, il se leva et se dirigea vers la porte. Appuyé sur le pas, il dit d’une voie lasse :
« Je comptais reverser se gouvernement de toute façon. Comptes-tu faire ce tatouage à tous tes compagnons de route ? »

Dans son enfance, Aisya se sentait presque bien. Pourtant, elle persistait à demeurer seule. Les filles ne l’intéressaient pas et les garçons ne semblaient pas vouloir d’elle. Pourquoi ? Parce qu’elle était. L’enfant croyait qu’en grandissant, ces préjugés allaient cesser. Malheureusement, ils ne firent que s’accroître, en particulier à l’âge de la puberté. Ses formes se dessinèrent, et, plus elle prenait l’apparence d’une femme, plus elle se détestait. A de nombreuses reprises, elle eut dans l’idée de se faire passer pour un garçon mais bien vite, sa féminité la rattrapait. C’était l’une des raisons pour laquelle elle entretenait une autorité et une sévérité à toutes épreuves. Elle n’avait pas repensé à ça, jusqu’à aujourd’hui ; jusqu’à ce que la main de Scar soit en contact avec cette poitrine qu’elle haïssait tant. On ignorait si ce fut le geste en question ou sa raison qui la rendit le plus en colère. Cependant, face à la force de l’Ishbal, elle ne pouvait rien. Et puis, c’était une réaction tout à fait normale ; il n’avait pas été très réfléchi de sa part de l’attaquer au couteau. Elle ne se rendit compte de la gravité d sa position que trop tard. Il était alors en mesure de la tuer. Etrangement, elle ne ressentit aucune peur. Etait-ce par confiance ? Non, il y avait bien longtemps qu’elle avait arrêté de faire confiance aux autres. Avant qu’elle ne puisse faire quoique ce soit pour empêcher l’arrivée de son jugement dernier, le tueur en série la lâcha et alla s’effondrer sur la chaise bancale.

L’alchimiste, qui n’avait pas décelé les lèvres jusque là, resta contre le mur, portant une main à sa poitrine, encore légèrement chaude par la présence de la main destructrice de l’étranger. Une pensée la traversa qui emplit la haine incompréhensible qu’elle nourrissait à son égard : il aurait pu détruire ce qu’elle haïssait tant. Il aurait pu la rendre d’un genre inconnu. Elle aurait pu devenir il. Non, c’était absurde, Scar n’aurait pas fait de distinction et l’aurait tué sur le coup. Mais il ne l’avait pas fait. Pourquoi ? Comptait-il réellement sur elle, bien que sa révélation l’ait laissé sous le choc ? Pourquoi ? Plus rien n’était logique ! Ceux qui voulaient se tuer ne le faisaient pas. Les morts ne l’étaient pas. Les vivants étaient-ils donc déjà morts ? Aisya mit toutes ses questions de côté. Rien ne devait compter plus que la situation actuelle. L’homme aux deux cicatrices s’était maintenant levé, après avoir fait saigner le précieux cadeau de l’alchimiste. Cette dernière le fixait toujours, sans dire un mot. Avant de se retirer, il posa une question qui arracha un sourire sarcastique à la jeune femme. Elle se détacha du mur et s’approcha, les bras croisés, près de la porte.

-« Voilà qui est bon à entendre. Pour ce qui de ce « tatouage », ce n’est rien que pour toi. Je ne compte pas aller abîmer mes beaux petits subordonnés tous neufs … »

Se rapprochant encore un peu plus de Scar, appuyée sur le cadre de la porte, elle appuya son index peint de noir et essuya un peu de sang qui commençait à sécher de la plaie. Puis, dans un mouvement désinvolte, elle porta son doigt à ses lèvres et se délecta de l’hémoglobine ishbale. Le goût saumâtre du fer se déposa sur sa langue et lui conféra une satisfaction presque malsaine. Jamais encore, elle n’avait fait cela. Et pourtant, on pouvait croire qu’elle s’était essayée à bien pire, comme à l’époque où elle exerçait son alchimie sur des cadavres. A présent, elle se fichait de l’impression qu’elle pouvait donner à cet homme. Quoiqu’elle fasse, ils étaient maintenant liés par cette nouvelle cicatrice qui avait fleuri sur le torse de Scar. En goûtant au sang de son nouveau camarade, elle ne faisait que sceller ce qu’elle avait inscrit au couteau.

-« Et puis … je trouve que les balafres te vont plutôt bien … » rajouta-t-elle dans un rictus moqueur.

Ses yeux électriques se posèrent sur le visage du concerné et, pendant quelques secondes, elle se prit à tenter de l’imaginer auparavant, lorsqu’il n’avait pas encore de cicatrice. A tous les coups, il l’avait reçu lors du génocide ishbal. Ainsi, chaque nouvelle plaie qu’il recevait semblait marquer un tournant dans son existence. Aisya jubila à l’idée qu’elle était à l’origine de l’un d’entre eux …

Ne sachant que répondre, Scar leva un sourcil et avança dans le couloir, la main posée sur sa nouvelle cicatrice. Il faisait frais et humide dans ce couloir trop sombre pour en voir la fin. L’Ishbal qui semblait n’avoir peur de rien, frissonna d’effroi. Il connaissait cette sensation et cette odeur dans l’air : une odeur de mort et de souffrance.

-« Où sommes-nous, alchimiste ? « dit lentement Scar.

Avant qu’elle ne formule sa réponse, Scar pris une direction au hasard et s’engouffra dans un couloir. Il y avait un mauvais éclairage et on voyait passer quelques canalisations au plafond. Scar en déduit qu’ils étaient sous la terre.
Une terreur oppressante lui serra le cœur. Quelle chose pouvait ce cacher ici ? Surement une chose à ne pas dévoiler au public, un terrible secret sans aucun doute.

Finalement Scar déboula dans une grande salle, parfaitement éclairée. Il n’y avait rien de vivant ici, mais partout où se posait son regard, Scar ne vit qu’une partie de la folie qu’habitait ce sous-sol.
On voyait des cages ensanglantées, des chaines et des cadavres de chimère à gauche et des cercles de transmutations à droite. Derrière un rideau blanc au fond de la pièce, Scar trouva du matériel de chirurgie contaminée par du sang coagulé et une table d’opération au centre de la petite salle. Scar refoula son effroi et trouva un bandage sain pour sa blessure.
L’Ishbal jeta au loin sa chemise et commença à se bander le torse, l’esprit vidé devant tant d’horreurs. Voici donc une face cachée de se gouvernement ?
Scar n’eut pas le temps de pousser plus loin sa réflexion, Aisya arriva à son tour dans la pièce. De son point de vue, il observa intensément la réaction de la femme. Son regard fût malgré tout attiré par 2 autres issues dans la pièce, une semblait monter, une autre descendre.
Scar se leva alors et marcha vers l’alchimiste.

-« Où m’a tu emmener, alchimiste ? «

Finalement, Scar se décida à quitter la pièce, suivit de prêt par Aisya qui eut tout le loisir de contempler sa silhouette en mouvement. Il y avait quelque chose de différent. Non, plusieurs même. Il régnait à ce moment un calme qu’on ne connaissait ni à Aisya, ni à Scar. Comme s’ils étaient nés pour courir. Condamnés à se poursuivre sans fin. L’un et l’autre. La bâtarde ishbale et le moine-combattant déchu. Eux qui auraient pu être de la même famille, ils se chassaient comme si le fait de savoir l’autre en vie pouvait nuire à leur propre existence. Quelque chose n’allait pas. Ils étaient là, tous les deux, à peine un mètre les séparaient, mais aucun ne portait de coups meurtriers à l’autre. Ils en venaient même à rester ensembles, à passer un accord. Quelques mois plus tôt, cela aurait été inconcevable de s’allier –bien que c soit un grand mot- à un tueur en série qu’elle poursuivait depuis une éternité. La jeune femme le suivait, donc, lui, l’homme à l’âge inconnu, dont l’existence était rythmée par ses cicatrices. Il avait d’ailleurs porté sa main sur sa toute dernière née. La semi-ishbale n’avait de cesse de se satisfaire de ce présent qu’on ne pouvait effacer d’un simple revers de la main. Il se devait de l’accepter sur son corps, comme on déciderait de cohabiter avec un parasite. Bien qu’elle fût elle-même habitée par un démon, l’alchimiste trouvait encore le malin plaisir à venir infecter ceux qui osaient trop s’approcher d’elle. Pourtant, comme tout parasite qui se respecte, elle avait besoin d’envenimer le monde pour survivre. Elle avait besoin de l’envenimer lui. Etait-ce pour cela qu’elle observait son dos avec tant de concupiscence ? S’imaginait-elle qu’à ce moment précis, elle arborait le regard d’une femme sur son amant ? Certainement pas. Aucune fois cette idée ne lui avait traversé l’esprit. Heureusement que Scar ne l’a voyait pas, il n’aurait su quoi penser. Heureusement, en fait, que personne ne la voyait. De quoi aurait-elle eu l’air, elle qui n’était censé aimer personne ? Elle qui ne vivait que pour terroriser et pour atteindre ce pouvoir paraissant si inaccessible ! Et elle avait besoin … de le parasiter, de s’accrocher à lui, de ne plus le perdre de vue. C’était pour ça qu’elle l’observait si intensément. Ne se rendait-elle pas compte que ce qui frappait le plus n’était pas ce silence qui les entourait, mais bien le fond de ses yeux ? Si l’on regardait bien, autour de sa pupille, noyé dans ce soleil qu’était son iris, on pouvait discerner une reliure bordeaux. Un cercle rouge. La couleur qu’aurait pu posséder ses yeux. Si ça avait été le cas, elle n’aurait peut-être pas fait une carrière si brillante dans l’armée. Si ça avait été le cas, peut-être aurait-elle prêté plus d’attention à ce peuple qu’était le sien et qu’elle maudissait sans fin.

Cependant, jusque là, l’alchimiste ne s’était pas encombré de ce genre de réflexions qu’elle jugeait grotesques. D’un autre côté, elle n’avait pas prévenu l’Ishbal qu’il prenait le mauvais chemin. Elle-même n’avait pas pris le temps de visiter davantage ces lieux qui inspiraient tant le doute et l’horreur. Il n’y avait qu’à constater les importants frissons qui parcouraient l’épiderme hâlée de Scar. Pourtant, l’atmosphère ambiante ne faisait pas grand effet à Aisya. Du moins plus maintenant. Il était vrai qu’en arrivant ici, elle ne s’était pas très bien sentie, comme si de mauvaises nausées venaient faire chanceler ses pas. Mais elle s’y était accoutumée. Elle fut presque amusée de voir celui dont on ignorait toutes les craintes trembler comme l’être humain qu’il était au départ. Ainsi, même l’ennemi public numéro 1 de Central pouvait perdre la face. Heureusement que personne ne le voyait lui non plus. Nouveau point commun. A croire qu’ils étaient faits pour se poursuivre dans l’ombre. Ombre qui laissa place à la lumière lorsque Scar pénétra dans une vaste pièce un peu plus loin. Aisya ne vit qu’un peu après l’immonde spectacle qui s’offraient à eux. Elle fut tout d’abord ébloui par l’éclairage. Puis, une bouffée d’air putride vint s’installer dans sa gorge. L’alchimiste tressaillit un instant et tous les muscles de son corps se crispèrent lorsqu’elle put enfin voir le contenu de la salle : du sang, du sale, du pourri. Du blanc, du noir, du rouge. Des cadavres d’instruments médicaux. Des cadavres d’humains ? D’animaux ? Des deux ? La jeune femme ne pouvait plus détacher ses yeux écarquillés d’eux. De nouveau, Scar lui demanda où elle l’avait emmené. Elle ne pouvait encore moins répondre. Devant son regard maintenant si effrayée, on aurait juré la revoir 10 ans plus tôt. On aurait juré la revoir le jour où elle avait assisté à la pseudo-résurrection de sa mère. Alors que Scar revenait vers elle, ses jambes se dérobèrent et elle s’affaissa lourdement sur les genoux. Ses doigts s’accrochèrent au sol dur, si fort qu’elle s’en abima les ongles. Ne voulant pas vider son estomac de la sorte, elle eut soudain du mal à respirer, à mesure que les images qu’elle avait pris le soin d’oublier refaisaient surface.

La salle de séjour, transformée en laboratoire. Le jeune déserteur, transformé en monstre. Sa défunte mère, ressuscitée en immondice. Son père, transformé en fou. Et elle. Transformée en quoi ? En chaise électrique ? Non, ça remontait seulement à Ishbal. En monstre elle aussi. Ce soir-là, Aisya perdit sa vision du monde. Elle perdit ceux qu’elle aimait. Car Aisya avait elle aussi ressenti de l’affection, autrefois, à sa manière. Assaillie une fois de plus par ses souvenirs, elle devait résister. Elle devait se montrer comme elle apparaissait au monde d’aujourd’hui. Même si c’était trop tard. Sa réputation actuelle, auprès de Scar du moins, venait de chuter à l’instant où ses genoux avaient touché le sol. Elle tremblait, de rage et de peur. Peur de voir surgir, de derrière ce rideau blanc, sa mère. Elle craignait sa génitrice. Non, elle craignait ce qu’on en avait fait. Mais ce n’était pas le moment de laisser les vieux démons l’assaillir. Pourtant, elle n’arrivait pas à se relever. Le visage ferme, elle n’osait le tourner vers ces corps, de peur d’en reconnaître l’un d’entre eux. C’était absurde, comme toutes les craintes que cette terre pouvait porter. Les yeux toujours posés sur le sol crasseux, tentant de mesurer sa voix, elle articula :

-« Je n’en sais … rien … Il y avait autrefois ici des salles d’interrogatoire … mais je constate qu’on a innové sans en prévenir les hauts gradés … Quelle ironie du sort : autrefois j’aurais tout donné pour pouvoir franchir ces portes, et aujourd’hui, je ne suis même plus capable de rester debout en y entrant … »

Son regard s’éteignit quelques instants. Elle ne voulait plus rien voir. Ni elles, ni lui. Avait-elle honte ? Non, pas encore, trop d’estime la consumait toujours …

Scar s’arrête net. L’alchimiste de foudre venait de mettre un genou à terre. L’Ishbal la considéra un moment tant il était surpris.

Scar était persuadé que cette femme est une alchimiste de haut rang aussi froide que l’acier et aussi dangereuse que la foudre. Or ce n’est actuellement pas le cas. Et l’actuel ennemi n°1 de l’Etat sentit son cœur se tordre devant cette femme accablé par ce sinistre spectacle. Lui-même ne cachait pas son dégoût.

Il termina de se rapprocher d’Aisya et l’aida à se relever, puis il la balança vers l’arrière et la pris dans ses bras tout en marchant vers une porte dérobée avec un escalier qu’il avait vue peu avant. La scène devait être risible, il y a peu cette femme présentait un étonnant calme et un regard froid et là elle était apeurée dans les bras de sa victime. Le cœur de Scar battait fort dans sa poitrine et il devait avoir le visage un peu écarlate mais peu lui importait. Cette salle est une tache dans l’histoire de l’Homme et il n’y avait pas à avoir honte d’en défaillir. Des images de son village détruit lui vinrent en mémoire et Scar bouillonna de l’intérieur, il devait faire quelque chose.
La fraiche cicatrise lui faisait mal mais il porta la jeune femme jusque dans la cage d’escalier où il la déposa avec délicatesse et il retrouva sur ses pas.

Scar considéra un moment la salle en étudiant ses dimensions et ses faiblesses et il pausa sa main à terre. Le contacte du béton gris froid et lourd de leur histoire donnèrent un frisson glacé à l’Ishbal. Sa détermination ne diminua pas et il lança son bras tatoué à l’œuvre. Il sentit ses forces se vider mais il garda une respiration maîtrisée et resta concentré. Des brefs éclairs rouges sautèrent de ses tatouages vers le sol et ils parcouraient l’instant d’après les murs de la salle, zigzaguant autour des cages, des outils médicaux et des cadavres.

Son œuvre terminée, Scar retourna calmement vers Aisya. Il se demanda un moment si elle avait compris ses intentions, mais il fût coupé dans sa réflexion par une soudaine faiblesse et il s’appuya sur la poignée de la porte. Il entra dans la cage d’escalier, fît quelques pas et s’assit lourdement sur une marche.

A se moment là, l’enfer commença. Tout se mis à trembler, l’éclairage vacilla et de la poussière tomba du plafond. Le temps d’une expiration et le tremblement repris, cette fois-ci il venait de l’horrible laboratoire. Des morceaux de plafonds tombèrent en chaîne dans la pièce, détruisant cages, meubles et la poussière couvrit les corps mutilés. En quelques instants, l’accès à cette salle devint impossible et surement pas rétablit avant plusieurs années si les autorités de l’abandonne pas en cours de route.
Mais de cela, ils ne virent rien. Il n’y avait pas de fenêtres sur la porte, la lumière vacillait et un courant d’air chargé de poussière s’engouffra sous la porte, piquant les yeux. Scar se sentit fier alors d’avoir détruit de ses mains ses abominations.

C’est seulement quand le calme revint et que la lumière se rétablit que Scar se leva et regarda Aisya droit dans les yeux.

-« Nous pouvons continuer notre route ? «

Des voix dans la cuisine. Brouillées. Lointaines. Comme si on les entendait de sous la surface de l’eau. Le sol est humide. De l’eau ? La cuisine était-elle noyée ? L’eau est rouge. Du sang ? A qui appartient-il ? Quelqu’un est blessé ? Papa, où es-tu ? Pourquoi parles-tu à maman ? Tu m’as pourtant dit qu’elle n’était plus là ! Dieu lui aurait-il accordé une seconde chance ? Est-elle un homonculus ? Ishbala a été gentil avec nous !

Monologue d’une enfant, au dernier jour de sa vie humaine. Non, Aisya n’était pas une immortelle. On ne pouvait plus en douter à présent. Elle était bel et bien un faible être humain. Qui ne sait pas se tenir debout et affronter ses plus noirs fantasmes. Car il ne fallait en aucun cas oublier que, même encore aujourd’hui, Aisya avait désiré assister aux expériences que menaient les scientifiques qui avaient autrefois peuplé cette salle. Cela prouvait à quel point elle se surestimait. Comment pouvait-elle accéder au pouvoir à Central si elle ignorait encore les limites du supportable qu’elle possédait ? Elle était pitoyable ! Elle se trouvait pitoyable ! Elle en aurait ri si elle n’avait pas sombré dans ce délire que lui imposait sa mémoire. Car la scène à laquelle elle assistait présentement n’avait rien d’un songe. Tout s’était déroulé ainsi, au détail près. Il n’y avait que les voix qui avaient changées. Et puis cette lumière. Rouge et sombre. Là, juste à droite dans l’ombre. Une lueur qui tremble. Comme le corps de la jeune femme. Mais d’une manière plus régulière. Comme un battement. Dans l’ombre. Tout près. Elle semblait maintenir Aisya consciente dans son souvenir. Car, dans la réalité, elle était bien absente, du moins momentanément. Et cette lumière, dans la vraie vie, on ne pouvait la distinguer. Cependant, elle s’entendait. De façon presque imperceptible. Cependant, de là où elle se trouvait, l’alchimiste n’avait aucun mal à la percevoir. C’en devenait presque étrange. Mais, à la vue de l’état dans lequel elle se trouvait, elle ne fit rien pour s’en éloigner. Aisya n’avait aucune idée de la mesure du temps qui passait. Elle n’avait plus aucune idée. Seulement des souvenirs. Ce souvenir. Et cette lueur rougeoyante qui lui tenait chaud. En vérité, ce qu’elle sentait contre sa joue d’une extrême pâleur malgré ses origines ishbales, était tout simplement le cœur battant de Scar. Son rythme s’était apparemment accéléré. Mais le colonel n’avait pas pu à ce moment-là débiter une plaisanterie vaseuse à l’humour noir. Elle n’avait même pas pu serrer les mâchoires au point de faire palpiter la veine haineuse de sa tempe. Elle n’avait pu rien faire qui lui ressemblait, de près ou de loin. Non, dans les bras puissants et destructeurs de Scar, elle avait été elle, mais des années plus tôt, bien avant Ishbal, et bien avant la transgression de l’Interdit par son père. Elle était l’Enfant. L’Enfant endormie. Juste contre lui. Le tueur en série s’imaginait-il qu’il détenait une image, une seule, qui aurait suffi à mettre Aisya elle-même dans une fureur folle et capable à elle seule de briser toute sa tenace réputation ? Savait-il que jamais personne encore n’avait pu être autant en contact avec l’alchimiste ? Ressentait-il ce flux électrique qui parcourait son corps inconscient ? Ce flux qui l’avait si longtemps tenu à l’écart du genre humain ? Il était l’allégorie de son mal de vivre. L’électricité qui refoulait tout autour d’elle. La foudre qui formait comme une frontière entre elle et le monde. Elle et lui. Et pourtant, ils étaient à présent tellement proches. Physiquement seulement. Car jamais, jamais elle ne pourrait assumer cette faiblesse qui envahissait tous ses membres. Jamais elle n’avouerait. Ce que Scar avait pu voir ou ressentir, il aurait mieux valu pour lui qu’il les oublie au plus vite.

Le fracas causé par l’effondrement de la pièce vint éveiller subitement Aisya qui, en un rien de temps, se rendit compte de la situation. Tout d’abord, elle sentit le contact du sol glacé contre sa peau. Se redressant, elle dégagea d’un mouvement de tête une mèche lui barrant le visage et lança un regard circulaire autour d’elle. A quelques mètres, Scar était assis sur une marche et semblait mener un combat contre un quelconque instant de faiblesse, si ce mot faisait seulement encore partie de son vocabulaire. Mais au vue du comportement de l’alchimiste, tout devenait possible et, même le plus terrible des assassins pouvait paraître empreint d’humanité. La preuve était qu’il ne lui avait fait aucun mal. Elle était indemne et seule persistait une légère nausée. Les murs tremblaient à mesure que les fondations cédaient sous l’attaque de l’Ishbal. En constatant la puissance et la rapidité de l’explosion, le colonel ne douta pas une seconde que ce fut l’œuvre de son nouveau complice. Puis le calme glauque qui régnait auparavant dans l’atmosphère se rétablit. Et ce fut à partir de ce moment là qu’Aisya se décida à prendre la parole, contournant pour le moment la question de Scar :

-« A croire que tu es condamné à agir à l’encontre de ce que je veux … »

La jeune femme se leva avec la maladresse d’un enfant et, prenant appui contre un mur décrépi, elle continua, les yeux fixés sur les monceaux de gravats :

-« Tu viens de réduire en miette un bon moyen pour moi d’accéder au pouvoir … Nous ne sommes vraiment pas faits pour nous entendre … »

Le soupir qu’elle laissa alors échapper était décontenancé, comme si elle regretta le cas actuel des relations entre eux. Bien que ce ne fût pas le cas, on pouvait persister à se poser des questions. Quoiqu’ils puissent prétendre, l’un et l’autre se complétaient indiscutablement. Pourtant, ils se fuyaient inlassablement, l’un prenant les devants sur l’autre et vice versa. Cette fois-ci, c’est Aisya qui s’aventura plus loin dans les couloirs. La main toujours posée contre le mur de ciment, elle entreprit de franchir une à une, dans une lenteur presque solennelle, les marches de l’escalier qui se déployait derrière l’échine courbée de Scar. En passant à sa hauteur, elle n’accorda pas un regard à sa silhouette assise et encore si imposante. Elle regardait loin devant elle, tentant de discerner l’indiscernable dans les méandres de l’ombre. Se doutant que Scar l’ait suivi, ils débouchèrent de nouveau dans un couloir qui rappelait plus celui d’un hôpital abandonné depuis de longues années. Sur chaque côté, des portes crevaient la surface des fondations, amenant dans des chambres toutes aussi désertes que le cœur des deux individus. Aisya pénétra dans l’une d’entre elle. L’odeur de pourriture s’était comme renforcée et elle ravala un gémissement. Elle tira nonchalamment sur un pan de son haut sans manche et s’en aida pour masquer ses voies respiratoires. Ses yeux se plissèrent à la contemplation du nouveau spectacle de désolation qui s’offrait à eux.

Un matelas était posé sur un lit de ferraille blanche et sa couleur laissait imaginer les pires horreurs, de par sa teinte rougeâtre, virant sur le marron et même le noir. A même la table de chevet était posé un carnet humide et diverses feuilles et instruments rudimentaires de médecine étaient épars au sol. Cela avait beau être écœurant, l’alchimiste d’état ne pouvait détacher son regard d’ambre de la couche. Elle fit néanmoins quelques pas en arrière, qui témoignèrent alors d’une humanité pas encore totalement éteinte et heurta le torse de Scar, avec qui elle voulut échanger un regard mais se ravisa aussitôt, craignant qu’il puisse voir ce que son regard trahissait …

Scar, assis sur la marche en béton, récupéra son souffle et essaya de contrôler les battements de son cœur. Il essaya de chasser les images horribles de la salle mais elles semblèrent ne pas vouloir partir, elles allèrent s’ajouter à toutes celle que Scar avait pu voir pendant sa vie, des images qui l’empêchaient de dormir paisiblement.
Quand enfin Aisya se leva, Scar la suivit des yeux. Il avait perdu juste un instant son regard froid contre un regard épouvanté. Mais rapidement il se ressaisit. Il avait déjà vu pire après tout. Et il avait autre chose à faire que de rester là et prier pour les âmes torturées ici. Aussi il suivit l’alchimiste qui montait les escaliers, essayant de comprendre ce qu’elle lui avait dit.
Effectivement, dans leur état actuel il allait être difficile de comprendre l’autre mais ils avaient besoin l’un de l’autre. Ce que Scar avait fait allait attirer l’attention, si ce n’était pas déjà fait.

Il ruminait ses pensées tout en suivant Aisya jusqu’à ce qu’elle butte contre lui. Il se réveilla de son songe et regarda, interloqué, la jeune femme posée sur lui. Scar comprit son trouble et frémis lui aussi à la vue de la pièce. La folie qui avait envahit cet Etat était plus grande que l’Ishbal pensait, toutes ses expériences dans l’ombre ne présageaient rien de bon pour eux.
Doucement, Scar entoura l’alchimiste de son bras et l’amena, tendrement mais fermement, hors de la pièce. Il referma la porte et entendit un bruit étrange. D’abord une légère vibration dans le sol puis dans les murs, ensuite des voix résonnèrent.

-« Ils arrivent, préfèrent tu les abattre ou tu as un meilleur plan ? »

Machinalement, Scar toucha sa cicatrice sous les bandages. Les idées de cette femme étaient assez étranges et il se mordit la lèvre en attendant sa réponse.
S’il était seul, Scar aurait profité du terrain idéal pour les embuscades si le groupe qui arrivait était composé de moins de 7 personnes autrement il pouvait facilement se cacher. L’autre solution serait d’utiliser à nouveau son pouvoir mais il allait ameuter trop d’alchimistes et de soldats dans un terrain peut propice à la fuite. Mais puisqu’il avait une alchimiste comme alliée, temporairement, pourquoi ne pas s’en servir ?
Scar fût étonné qu’Aisya ne réagisse pas pendant tout ce temps. Elle semblait perdue dans ses pensées et il était persuadé que ce n’était pas normal. Alors, il mit un genou à terre pour que ses yeux et ceux de l’alchimiste soient au même niveau, Scar fût d’abord troublé lorsqu’il plongea son regard dans le siens et il en gagna un certain plaisir qu’il ne connaissait pas. Il se força à garder son calme et posa une main sur l’épaule d’Aisya.

-« On pourra réfléchir à ca plus tard, j’ai besoin de toi ici et maintenant. Tu me suis ? «

Aisya ne pouvait détacher ses yeux mordorés de la scène. Pendant d’infimes secondes, elle arbora le regard effrayé de Scar, celui qu’il avait eu en sortant de la salle de laboratoire. Elle ne lui avait fait aucune remarque mais ce trouble ne lui avait pas échappé. Sous la surface, ils ne s’en rendaient peut-être pas compte, mais tous deux enchaînaient les expressions presqu’humaines. En profitaient-ils assez ? Non, parfois même, ils n’avaient pas l’air de s’en rendre compte. Du moins pour elle. Toutefois elle ne restait pas indifférente aux instants de faiblesse de Scar. Depuis peu de temps leur pacte passé, l’estime qu’elle éprouvait à son égard se voyait tourmentée elle aussi. Oui, l’alchimiste accusait son estime, car en aucun cas elle n’aurait avoué directement s’intéresser au cas de Scar, en tant qu’homme. Il était pour elle un tueur en série. Elle était pour elle-même une alchimiste au service de l’état. Mais qu’était-elle pour lui ? Toujours cette terrifiante chaise électrique ? Ou alors, l’être humain enchaîné à cet instrument de torture ? Apparaissait-elle toujours comme le bourreau ? Ou avait-elle soudain endossé le rôle de la victime ? A moins qu’elle ne fut à mi-chemin entre les deux camps, comme Ayame et Scar avaient tendance à l’espérer. Entre l’ombre et la lumière. Et les bras le long du corps. Les bras le long du corps, elle observait toujours la petite pièce exiguë dont émanait de terribles relents, comme ceux s’échappant du fond du couloir, au sein même de son appartement, derrière la porte close. Des relents qui avaient bercés son enfance et contribués à sa croissance, à elle, l’ortie, la mauvaise herbe, la plante empoisonnée. Le contact établi entre son dos et l’homme lui permit de sentir le frisson qui, une fois de plus, parcourait l’échine de Scar. Il ne devait pas s’ennuyer ici, lui, l’étranger. Et quelle image devait-il avoir d’Amestris ! Amestris la criminelle, la tueuse d’enfant ishbal qui, d’une insatiable faim s’en prenait même à ses propres enfants. L’Etat dévorait le peuple. L’Armée corrompue se contentait de nettoyer derrière. Etait-cela qu’elle s’était imaginée en franchissant pour ka première fois les portes de la caserne ? Mais s’était-elle seulement imaginé autre chose que la place vide du Généralissime ? Non, pas à ce qu’elle sache, en tout cas. L’Armée aurait pu être accusée des pires immondices qu’elle n’aurait pas fléchi, pas en public du moins. Car si, en ce moment-même, elle pouvait paraître terrorisée –et son état d’esprit s’en approchait grandement-, une fois revenue à la surface, elle ferait fi de tout comportement de ce genre et n’espérerait qu’une chose : que Scar l’oublie aussi. Tout ce qui se passait ici, resterait ici, comme toutes ces expériences. Qu’était-il arrivé aux chercheurs ? Et aux victimes ? Aisya essayait de raisonner avec un semblant de réfléchi quand soudain, dans un geste qu’elle n’aurait su qualifier à l’instant, l’homme aux cicatrices passa son puissant bras autour d’elle. Sa peau brune émit un frottement sur le tissu de son vêtement avant de glisser sur son propre épiderme aux teintes similaires. Et ce nouveau contact, plus volontaire cette fois-ci, eut comme l’effet d’un ouragan dans le crâne de la jeune alchimiste qui sentit un bourdonnement au creux de son estomac, comme si une multitude d’insectes s’y étaient installés. Des insectes venimeux, avec pleins d’yeux rivés sur elle. Elle eut ce premier réflexe de vouloir se dégager mais bien vite, il fut interrompu lorsqu’elle comprit le but de Scar de l’éloigner d’ici. Son geste stoppé, elle voulut agripper le bras de l’Ishbal tout en calant ses pas sur les siens mais son temps de réaction fut trop long et déjà, il lâchait prise pour aller refermer la porte. Avec un peu d’imagination, on pouvait assimiler la scène à celle d’un père rassurant sa fille quant à la pseudo-existence de monstres sous son lit ou dans le placard. Mais les pensées d’Aisya étaient ailleurs encore, bien qu’elles redeviennent au fur et à mesure, plus rationnelles.

Ce fut d’ailleurs à ce moment-là qu’elle entendit à son tour, l’agitation qui régnait au-dessus d’eux et qui se rapprochait dangereusement vite. Bien vite, sachant qu’ils avaient affaire à des soldats de son camp, Scar lui demanda ce qu’elle avait l’intention de faire. Il était connu qu’elle était loin d’être à cheval sur le règlement mais tout de même, on ne devait en aucun cas savoir qu’elle s’était rendu dans un laboratoire censé être interdit d’accès, dans le but d’y torturer un Ishbal. De ce fait, elle eut vite fait de réfléchir un tant soit peu avant d’arracher soudainement un morceau de rideau blanc qui barrait l’accès à une nouvelle chambre et de s’envelopper le visage dedans, à la manière des femmes de la vallée d’Ishbala. La dextérité dont elle fit preuve afin d’ajuster les pans de tissus aurait facilement pu étonner Scar si elle n’avait pas commis la grave erreur de lui dire d’où elle venait. Ou pas. Elle avait encore son capuchon de fortune rabaissé alors qu’elle arrangeait ses mitaines alchimiques. Elle arqua un sourcil et répondit dans un sourire goguenard :

-« Ces bleusailles sont presque à moi, je ne vais pas m’amuser à les supprimer un par un, ce serait du beau gâchis ! Cependant, je voudrais leur montrer qu’on ne part pas à ma poursuite ainsi sans en subir les conséquences ! Je vais leur remettre les idées en place ; et je vais le faire bien ! »

Il était évident que, seul, Scar aurait eu tôt fait de prendre la fuite, à sa manière explosive. Mais s’il voulait d’un allé, ou autre bêtise de ce genre, et surtout si cet allié en question s’avérait être Aisya, il lui était recommandable de faire quelques changements dans ses plans. De ce fait, loin d’être un homme stupide, il mit un genou à terre, comme un chevalier servant ou un père faisant des recommandations à sa fille, appliqua sa main calleuse sur son épaule nue et plongea une fois de plus le feu de ses yeux étrangers dans ceux d’Aisya. Les traits de la jeune femme se plissèrent légèrement lorsqu’elle eut à discerner la nature de ce regard : il n’avait rien de haineux, ni empli de reproches. C’était le regard d’un homme à une femme. Un regard nouveau. Terrifiant, en plus de sa main contre elle. D’où se permettait-il tant de familiarités ? L’alchimiste se serait fait une joie de le lui reprocher s’il n’y avait pas eu toute une escouade à leurs trousses. Prétextant de devoir dissimuler ses cheveux dans son foulard improvisé, elle répondit avec ce dédain qui lui allait si bien :

-« Je déteste devoir m’encombrer des espoirs de quelqu’un, je pensais que tu le saurais, au cours du temps ! Si je t’aide à nous tirer d’ici, ne vas pas t’imaginer que je le fais pour toi. Je n’ai pas intérêt à me faire prendre ici, et toi non plus d’ailleurs. C’est chacun pour soi mais les deux à l’arrivée, tu piges ? »

Aisya acheva de s’emmitoufler dans le tissu blanc, de sorte à ce qu’on ne discerne plus que ses yeux brûlants. Sa veste militaire était à présent nouée à sa taille. Ainsi, si on ne prenait pas le temps de la considérer dans son ensemble, il était beaucoup moins évident de l’assimiler à l’armée, au vue du mauvaise éclairage. Elle tapota la surface d’un mur humide et parcourut des doigts les fils électriques en mauvais état, sans craindre aucune décharge. Finalement, jetant un dernier regard à Scar, elle haussa nonchalamment les épaules et déclara :

-« A table ! Je te préviens ; tu en tues un seul, je me fais une joie de t’offrir la collection complète de mes tatouages faits maison ! »

Elle laissa échapper un ricanement et s’élança au bout du couloir, d’où provenaient les pas précipités. Elle n’aurait su dire le nombre exact de soldats, mais le lieu n’étant plus fréquenté depuis longtemps, ils ne devaient pas être nombreux. Le premier soldat pénétra son champ de vision, armé d’un fusil. De suite, voyant la couleur des bras d’Aisya et de Scar, il s’écria :

-« Des Ishbals ! Des intrus ishbals dans les locaux du laboratoire ! »

Comme un chat enragé, la jeune femme qui détestait qu’on l’assimile à ce peuple bondit littéralement sur lui et lui asséna une décharge bien cuisante, avec une intensité suffisante pour lui faire perdre connaissance et lui griller quelques articulations. Derrière lui, les autres soldats stupéfaits, ne restèrent pas indifférents à l’alchimie utilisé par l’intruse mais eurent tôt fait de se raviser car jamais, ô grand jamais, ils n’iraient s’imaginer que l’impétueux colonel de foudre ne transgresse ainsi le règlement … à leurs risques et périls.

Scar se releva l’esprit confus.
La militaire qui était devant lui se transforma en femme Ishbal grâce à se tissus blanc. Il se rappela de son tendre passé dans son ancien pays avec ses amis, les mains pleines d’innocence. Puis son esprit rationnel pris le dessus et se dit qu’elle ne le mettait pas pour se protéger du soleil, mais pour se déguiser.
Les mots qu’ils s’échangèrent le firent sourire de toutes ses dents. Pourquoi mentait-elle ? Elle doit avoir peur de quelque chose. Pourquoi aller aider l’Ishbal à les assommer alors qu’elle aurait juste pu les envoyer nettoyer les sanitaires avec son grade d’alchimiste ? Quoi que, Scar comprenais mal les grades de l’armée et ils avaient peut-être affaire à du plus gros poisson.

Du gros poisson ! Scar allait pouvoir se défouler physiquement. Ainsi, il suivit la jeune femme lorsqu’elle s’élança. Il regarda son dos pendant qu’ils courraient, sa vue lui offrais une Ishbal avec un voile traditionnel courir. Comme ce jour là, ce sinistre jour où la vie du jeune Ishbal changea. Sa ville était attaquée par des fous et il courrait pour sa vie quand une femme le dépassa, lancée à pleine allure, avant de mourir d’une balle sous ses yeux. A se moment, il ne s’en rendit pas compte, trop assourdit par le chaos.
C’est plus tard que des centaines d’images comme celle là le hantaient dans ses rêves. Il ne voulait pas revivre ca.

Quand il entendit la voix tu soldat crier à l’Ishbal, Scar entra dans un état second. Il fonça avec se rage et se jeta sur un soldat proche. Assommé sur le coup, Scar tendit sa main vers lui et lança sa magie. Sans effet.
L’esprit encore embrouillé, il envoya son poing sur un autre soldat armant son fusil. Le calme revint dans son esprit comme dans la pièce et il découvrir un militaire encore conscient derrière sa main tatouée, allongé par terre. Tous les autres étaient assommées. Scar grogna et cogna l’homme qui ne broncha pas. L’homme à ses pieds était aussi grand et fort que lui. Une bouffée de colère l’envahit et il lui envoya une seconde droite appuyée sur sa tempe, l’assommant sur le coup.

En se relevant, il croisa le regard de la jeune femme et se sentit honteux, les joues brulantes.
Qu’est-ce qu’il lui a pris ?! Foncer comme un démon dans la bagarre pour aider une femme déguisée en Ishbale.

-« Je vais prendre son uniforme et les lunettes du soldats plus haut. Etrangement je préfère être soldat que toi en habit traditionnel. Sans vouloir être critique bien sur. Ca te va très bien d’ailleurs (… ) je vais me taire et me changer. »

Encore rouge de honte, Scar se déshabilla sur le champ sans prendre conscience du regard de la femme à ses côtés. Scar pensait plutôt à comment les attachés et où les planquer. Des questions qu’il ne se posait pas quand il les tuait.