¤ Nice to meet you ¤

Une secousse tira notre Alchimiste de son songe. Affalé sur l’accoudoir de son siège de cuir noir, une texture confortable et surtout très chic, il ouvrit les yeux en se remuant d’une façon désordonnée, tentant de se repérer dans son environnement qu’il ne reconnut pas immédiatement. Où était-il..? Ah, oui! Dans un train en direction de South City. Le paysage qui défilait au dehors appartenait déjà à la région du sud dans laquelle il avait vécu pendant les quatorze premières années de sa vie. Cela faisait déjà douze ans… douze ans qu’il était parti de South City pour échapper aux remords et aux regrets, à ce passé qui le tourmentait comme une torture insidieuses, une maladie incurable et maligne. Il avait mûri depuis, il avait changé, était devenu plus fort, plus adulte, moins émotif. Mais il était toujours ce petit pincement au cœur qui le prenait lorsqu’on lui parlait de cette ville dans laquelle il avait perdu tout ce qui comptait alors pour lui. Sa famille. Il avait dû partir, partir pour survivre. Il avait laissé son cadet, Kyle, derrière lui, alors âgé de quatre ans seulement. Tant de choses qu’il aurait voulu pouvoir changer, améliorer, mais rien n’y aurait fait. Il se demandait comment avait grandit son petit frère. Seize ans maintenant… un âge de découvertes, à tous niveaux. Il aurait voulu pouvoir profiter de ce déplacement pour le voir, mais il n’en aurait nullement le temps et il le savait. C’était peine perdue. Il aurait d’abord fallu le retrouver, mais comment? Il entamerait peut-être des recherches approfondies plus tard, mais sa condition d’Alchimiste et de militaire lui indiquait de remplir son devoir avant toute chose… même si cela signifiait sacrifier ce dernier lien qui lui restait. Il avait vécu sans pendant douze années, et même si l’idée de ne pouvoir retrouver son jeune frère lui pesait sur la conscience et lui minait le moral, il pourrait survivre sans.

Il avait une mission, et il ne pouvait tout simplement faire passer ses motifs d’action personnels avant cet ordre venu directement du généralissime, King Bradley. Son objectif? Effectuer une répression sur un groupe d’insurgés, des hommes d’Aerugo, qui avaient été repérés dans les falaises à l’est de South City. Il devait cependant en garder un en vie pour le ramener au Q.G des forces armées, à Central City, afin qu’il soit soumis à un interrogatoire… violent ou non. Sur le papier, tout semblait simple et sobre: une répression en bonne et due forme qui permettrait la récolte d’informations et la conservation des maigres relations amicales qui subsistaient entre les deux pays. Mais Jasper Crown, alchimiste depuis maintenant 4 ans, savait comment le système marchait. Il glissa une main dans la poche pectorale droite de sa veste sombre, en retirant le médaillon en argent qui attestait de son appartenance au groupe des Alchimistes d’Etat. Son regard bleu se troubla sur l’argent reluisant de l’objet tandis qu’il réfléchissait à la tournure des évènements. Le groupuscule n’écouterait surement aucune de leur sommation et cela terminerait dans un bain de sang. Il avait déjà tué, par le passé. Il avait obéit aux ordres. Il avait la mort d’innocents sur la conscience, leur sang sur les mains, et l’expression de leurs visages terrifiés imprimé au fer rouge dans la rétine. Mais c’était ce que voulait dire être Alchimiste d’Etat… obéir aux ordres en utilisant ce don dont il faisait une malédiction de mort. Il aurait pu user de son alchimie pour des choses plus utiles. Ventiler les moulins à vent, alimenter les souffleries, voire même offrir un peu de fraicheur aux citoyens qui se promenaient dans les rues en été. Il aurait pu avoir une vie tranquille et sans ennuis. Mais c’était loin d’être le cas. Il était Alchimiste National, et au lieu d’utiliser le vent pour rafraichir les visages, il détruisait des blindages et coupait des membres. Pouvait-on le blâmer? Il aurait été inutile de se lancer dans le sujet, car c’était un débat qui n’avait aucune fin.

Le train commença graduellement à ralentir, signifiant une entrée imminente dans la gare de la ville. La dernière fois que Jasper avait foulé le sol de cet endroit, c’était douze ans plus tôt, pour s’en aller pour Central City et commencer sa progression vers le rang d’Alchimiste National. L’homme se redressa légèrement, massant d’une main sa nuque engourdie par un sommeil trop peu profond pour avoir été utile, et regarda lentement la vue qui s’offrait à lui par la fenêtre devenir de moins en moins mouvante, de plus en plus immobile, jusqu’à être happée par un bâtiment plus sombre et sobre empli de bruit et d’annonces de gare. Il était arrivé à South City. Il n’avait emporté avec lui que de l’argent, au cas où la mission prendrait plus de temps que prévu ; auquel cas il logerait dans une auberge, une enseigne en tout genre capable de lui fournir une nuit décente. Il n’était pas difficile en ces termes, il n’était de toute manière pas venu ici pour profiter du luxe que pouvait offrir la cité. Le train s’arrêta en douceur au quai de la gare, dans un ultime crissement des roues sur les rails métalliques qui supportaient courageusement le passage des multiples wagons qui arrivaient et repartaient de cet endroit. Se levant de son siège, Jasper s’étira quelque peu, et il poussa un soupir lorsqu’il sentit son poignet droit craquer d’une manière très sonore… comme pratiquement à chaque fois qu’il le faisait bouger trop vivement. Secouant doucement sa main, il râla contre lui-même avec un air blasé.

- Sérieusement… ça promet…

Il fit un pas dans le couloir central du wagon, puis un autre, et encore un autre, se mettant lentement mais sûrement en route pour la sortie de cette boite de conserve sur roue. Il n’aimait pas spécialement le train, qu’il trouvait assez petit et frustrant quand on aime bouger, mais n’avait rien contre non plus. Après tout, ça allait vite et ça permettait de voyager selon une itinéraire qui n’était pas foireuse pour un sous. C’était tout ce qui comptait: efficacité et fiabilité. S’appuyant d’une main contre le rebord de la porte du train, il posa son pied droit, botté d’une ranger noire et solide, contre le sol dans un petit claquement, puis le pied gauche suivit. L’air relativement plus frais de la gare lui fit du bien, et il prit une profonde goulée, sachant très bien que ce serait mieux encore dehors. Cependant… avant de sortir, il lui fallait faire quelque chose. Il n’était pas le seul assigné à cette mission. D’après la lettre qu’il avait reçu du généralissime, il serait mit en duo avec l’Alchimiste Atsuko Ansatsu, aussi appelée Alchimiste aux mille lames, de son nom d’état. Il ne la connaissait pas et n’avait à vrai dire jamais entendu parler d’elle, mais il n’avait rien contre le fait de travailler avec une collègue qu’il n’avait pas dans son cercle d’amis… cercle très restreint, le Tempest Alchemist restant la plupart du temps quelqu’un de professionnel jusqu’au bout des ongles, aussi loquace qu’un mur durant ses heures de travail.

D’après ce qu’il savait, elle devrait arriver sous peu, si ce n’était pas le cas. Sortant tout juste d’une autre mission, l’Alchimiste n’avait pas eu le temps et les moyens de la croiser avant le départ, et donc de prendre la route en sa compagnie, mais cela ne lui poserait pas de problème. Il se mit à la chercher activement dans la foule, mettant en évidence son pendentif en argent d’Alchimiste d’Etat que quelques regards diverses croisèrent avec envie, avec mépris, ou tout simplement avec respect, mais rien n’y fit. Il ne la trouva pas.

- Bon. Je suppose que je suis bon pour attendre ici. Dans ce cas…

Calme comme de coutume, notre Crown alla s’asseoir sur un des bancs qui bordaient les quais de train, sortant son médaillon d’argent de son col pour le mettre en évidence. Il comptait sur deux éléments pour être remarqué de sa collègue: premièrement, le médaillon. Un Alchimiste se sachant en mission avec un compère inconnu irait vers le premier collègue inconnu qu’il verrait, c’était plutôt logique. Deuxièmement, le cercle vide qu’il laissait autour de lui. Jasper Crown était un individu qui pouvait dégager une impression d’antipathie plutôt frustrante, et son travail d’Alchimiste National ne l’aidait pas vraiment à cesser ces intimidations non voulues. Cependant, ça lui donnait une certaine marge de tranquillité qu’il savait apprécier.