Quel temps abominable pensait-il avec un air déçu, tout en constatant le ciel gris, bien couvert, et menaçant qui planait lourdement sur la ville de West City. Il ne fallait pas grand-chose pour que cela tourne à l’averse, ce qui serait gênant compte-tenu de ce qu’il prévoyait de faire cette après-midi. En effet, Nick avait réussi à gagner un peu de temps libre en ce jour - ce qui expliquait peut-être la médiocre météo avec sa chance habituelle - il quitta donc son bureau, en compagnie de sa subordonnée, le commandant Tchendev qui en profitait également pour raccourcir sa journée, et songeait à rentrer chez elle, même si c'était pour relire certains documents au calme. Celle-ci entama la discussion avec son attitude habituelle.

« Alors, tu vas enfin pouvoir te promener un peu, c’est bien la première fois que je te vois te préparer à passer du bon temps et ne rien faire dis-donc. Tu te sens comment ? Ça ira ? » dit-elle d’un ton sarcastique, le sourire affiché au visage.

« Un peu mal… Je me sens pas très bien à dire vrai. » répondit-il alors en ricanant, tout en se maintenant faussement le ventre, jouant le jeu lancé par la jeune femme. A cela, elle laissa paraître un rictus sur ses lèvres, et haussa ensuite le regard.

« Je vois… bref, allez va donc te détendre un peu. Notre brigade est aussi là pour ça tu sais, on se serre les coudes, et les autres penchent sur l’affaire en cours, tu peux leur faire confiance. A demain, amuses-toi bien. » fit-elle finalement, tout en saluant son supérieur, puis en s’éloignant vers son automobile d’un pas assuré. Anastasia Tchendev, la petite sœur de son défunt meilleur ami, avait vraiment bien grandit, qui aurait pensé que cette petite fille froussarde finirait alchimiste d’État… Enfin, on ne peut jamais prédire l’avenir, et c’est très bien comme cela, sinon, Nick se serait mieux préparé à son après-midi… Une fois qu'il eut rendu son salut, le général de brigade quitta donc à pied les bâtiments de l’armée, toujours en uniforme, pour se diriger vers le centre-ville qui restait relativement animé malgré le temps qui s’était dégradé depuis hier, mais semblait se maintenir. Tant qu’il ne pleut pas, pensait-il, il n’y a pas de quoi se plaindre. Ainsi, une après-midi calme et reposante se profilait pour le général de brigade, mais c’était sans compter l’incident auquel il assista…

En effet, alors qu’il traversait la rue principale, un bruyant fracas retentit non loin, puisque la vitre d’une boutique se brisa littéralement, pour laisser place à un individu de taille moyenne, possédant une cagoule qui empêchait ainsi toute identification, qui traversa les débris, pour fuir ensuite. Apparemment, il s’agissait d’une bijouterie qui venait d’être cambriolée, mais le voleur ne possédait aucun sac, aucune valise, ni rien de ce qui pourrait être un quelconque contenant pour son butin, aurait-il échoué ? Dans tous les cas, cela n’empêcha pas à Nick de réagir rapidement, et de partir à sa poursuite, l'appel du devoir comme on dit... Lui qui pensait pouvoir lézarder, ce n’était pas encore pour aujourd’hui, surtout qu’il ne se passe presque jamais rien dans cette ville, et il fallait que cela tombe aujourd’hui, et sur lui, nom d’un chien ! Il n’y avait aucun autre militaire dans le coin, et c'était bien sa veine pour une fois qu'il aurait bien aimé délégué cet incident.

Il ne fallut pas longtemps à Nick, par ses grandes enjambées soutenues, pour rattraper le fuyard qui courait maladroitement pour fuir à tout prix. Tandis que le jeune homme lui ordonnait de s’arrêter immédiatement, selon les procédures habituelles d’arrestation, ils déboulèrent ainsi sur une petite place, où se promenaient quelques honnêtes citoyens, dont la plupart s'écartèrent, pour éviter leur course. Alors qu’il était à portée de main, le fugitif attrapa les épaules de la première personne qu’il lui était possible de trouver à son arrivée, et se plaqua derrière elle, maintenant un couteau non loin de sa gorge, pour la prendre en otage. A cela, Nick stoppa net, et se figea sur place pour ne pas brusquer l’agresseur, gardant toutefois un regard sévère. Il était alors à trois mètres, face à face. Cet ingrat avait attrapé une jeune femme, qui possédait de longs cheveux blonds, à la limite du blanc, ornant un visage fin et raffiné. Une véritable Amestrienne, qui n’avait surement rien demandé pour en arriver dans cette situation de prise d'otage, situation que Nick détestait au plus haut point.

Reprenant facilement son souffle, Nick fronça les sourcils, et ne se priva pas de faire le point tout en gardant son calme, tentant alors de persuader l’individu et de rassurer, si besoin, la jeune femme.
« Écoutez, si vous en restez là, vous vous en sortirez, sans infractions graves qui pourraient être retenues contre vous, surtout avec votre coopération. Laissez donc cette jeune femme partir sur le côté, et tout ira bien, pour vous, comme pour tout le monde… Autant s'arrêter là. » Dit-il bien distinctement, tout en furetant son regard entre celui de l’otage, et du voleur qui lui, semblait des plus paniqués, c’était mauvais d’ailleurs…

Quelle journée ! Si jamais Emily avait su qu’elle se retrouverait prise en otage avec un couteau sous la gorge, elle ne serait assurément pas sortie de chez elle. Surtout qu’elle s’était disputée avec Roxane, la jeune adolescente dont elle assurait l’éducation depuis plus de deux ans. Une journée qui ne semblait pas sous les meilleurs hospices donc ! La semaine dernière, lors de ses courses habituelles, la jeune femme avait dû se saigner pour n’acheter que le nécessaire et réserver la viande exclusivement à sa jeune protégée. Les moyens financiers de la libraire n’étaient plus très conséquents en ce moment…

A croire que les librairies étaient vouées à l’échec. Dommage pour elle ! Emily adorait ce travail et à part se reconvertir en bibliothèque, elle ne saurait pas trop quoi faire d’autre. Enfin, il ne fallait pas qu’elle se décourage. Peut-être que c’était une simple baisse de régime comme en connaisse toutes les boutiques. Elle l’espérait en tout cas. Sinon comment allait-elle nourrir Roxane ? Elle trouverait un autre métier moins honnête… et beaucoup plus dégradant. Non bien sûr, elle ne se souciait pas de sa petite personne. La survie de la fille de son ami était le plus important.

Emily n’aimait pas se disputer et encore moins avec Roxane. Leur relation n’avait jamais été très stable. L’adolescente reprochait à la blonde d’être venue troubler le calme de leur vie en s’imposant chez eux. Et pourtant, si Azriel ne lui avait pas proposé de venir vivre chez lui, et Dieu sait qu’il a insisté, elle n’aurait jamais accepté.  Roxane était encore jeune à cette époque et elle s’était faite une mauvaise image de la jeune femme. Evidemment, Emily lui pardonnait… Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Après tout, si elle n’avait pas assassiné son  mari, elle n’en serait pas là aujourd’hui.

Bon, elle serait surement morte mais c’était peut-être son destin. Non, ce n’était pas possible qu’elle meurt avant de l’avoir revu. IL fallait qu’il sache ce qu’elle ressentait… Enfin, elle ne lui dirait rien si par chance - ou par malheur selon le point de vue… - il avait fini par se stabiliser. Elle n’était pas le genre de personne à briser un mariage juste par égoïsme. Cela ne mettrait pas en compte son amour sincère pour lui mais pour rien au monde elle ne voudrait qu’il soit malheureux. Oui, elle était prête à rester seule toute sa vie, à souffrir en silence pour son bonheur.

Dès le réveil, très tôt comme à son habitude, Emily se dépêchait de se préparer pour réveiller Roxane. Pour une broutille elles se sont querellées et la plus âgée à laisser sa semblable partir à l’école sans rien dire. Elle s’était jurée de s’excuser ce soir et de mettre les choses au clair sur cette histoire. Son travail lui parut inintéressant toute la matinée et c’est seulement après le déjeuner qu’elle ouvrit enfin les yeux sur la situation : Roxane avait un petit ami et c’est pour ça qu’elle lui avait reproché son comportement. Elle était jalouse pour la première fois de sa vie…

Alors qu’elle se promenait sur la petite place juste devant la boutique pour se changer les idées, Emily fut surprise de sentir le corps de quelqu’un d’autre se plaquer contre le sien. Ce n’était même pas une étreinte tendre… La lame froide du couteau qui venait s’installer sur la peau délicate de son cou, elle comprit que ce n’était pas la meilleure expérience de sa vie. Un militaire s’arrêta juste en face d’eux et il commença à tenter de convaincre le ravisseur. Ce dernier était crispé, tendu. Ce devait être son premier braquage ou sa première prise d’otage ! Dommage pour lui, il n’était pas tombé sur la bonne personne.

Emily restait immobile en fixant le jeune homme blond aux yeux bleus. Ses mains plaquées contre son corps, elle remontait tout doucement sa robe pour atteindre son couteau. Elle cachait toujours une arme de ce genre dans ses bas pour être sûr de se défendre quand c’était possible. Une fois l’arme en main, elle détourna le regard du militaire et planta la lame étincelante dans le flanc gauche de son ravisseur. Elle n’avait pas été trop profonde pour ne pas le tuer. Tout ce qu’elle souhaitait c’était se dégager. Le voleur lâcha la jeune femme et un cri de douleur s’échappa de ses lèvres gercées.

La libraire retint le bras du voyou pour l’attirer à lui et murmurer quelques mots à son oreille. Si le militaire ne s’approchait pas, il n’entendrait rien de cette discussion.

« Vous n’auriez jamais dû faire ça, monsieur. La prochaine fois, choisissez mieux votre victime. Si j'étais vous, j'obéirais au militaire sinon je vous retrouverai et je me vengerai pour ce que vous venez de faire. Ah oui, une dernière chose, si vous tenez à la vie, allez soigner votre blessure.
- J-Je suis désolé… » Bafouilla-t-il, apeuré.  

Puis, elle se retourna vers le jeune homme blond et lui sourit chaleureusement. C’était tellement rare de voir Emily en colère qu’il était bien de le relever. Elle qui essayait toujours de garder son calme et sa neutralité… Aujourd’hui c’était raté et il ne valait mieux pas la chercher ! Elle serra un peu plus le bras du pauvre voleur et s’approcha de l’homme des forces de l’ordre. Bien sûr qu’elle avait eu peur mais la force de sa détermination à vivre ne lui permettait pas de le montrer. Ce jeune homme n’avait pas l’air méchant… et IL lui ressemblait.

« Merci de votre aide, monsieur. Je vous le confie, je pense que vous savez mieux que moi ce qu’il faut faire dans ce genre de situation. » Elle accompagna le geste à la parole en lâchant le voyou.

« Si vous me cherchez, je suis la propriétaire de la librairie ! Au revoir. »

Elle s’éloigna d’un pas lent, perdu dans ses pensées. Cependant, elle se retourna une dernière fois pour observer le jeune militaire et lui dit :

« Vous lui ressemblez tellement... Prenez soin de vous s’il vous plait. Ca serait dommage de perdre un homme comme vous. »

Tout se passa relativement vite, en effet, il ne fallut pas longtemps à la jeune femme prise en otage pour réagir, et se défendre de son agresseur, qu’elle blessa à l’aide d’une lame. Sous les yeux épatés du général de Brigade, elle retourna la situation à son avantage et plaça le voleur impuissant devant elle tout en lui susurrant des mots à l’oreille, inaudibles d’où était Nick. Il semblait certain qu’elle devait elle-même le convaincre de laisser tomber, d’une manière plus ou moins intimidante et effrayante, puisque celui-ci ne tarda pas à s’excuser et à implorer son pardon par la suite tout en sanglotant, il ne devait pas s’agir d’un professionnel à l’évidence. Suite à cela, la jeune femme remercia Nick pour sa présence et son soutien, et lui confia la garde du fugitif. De ce fait, le général de brigade s’exécuta et passa les menottes au criminel et vérifia la plaie de plus près pour s’assurer de la gravité de son état. Celle-ci n’était pas profonde, et ne mettrait pas sa vie en danger, du moins si il voyait rapidement un médecin. Pour le reste, il s’agissait ici de légitime défense, même si se promener dans la rue avec un couteau n’était pas très catholique, mais bon c’est une autre histoire. Le général de brigade retira la cagoule qui cachait le visage du voyou, et dévoila ainsi un jeune homme brun de moins de vingt ans, mal rasé. Etrange, pensait-il, la criminalité dans l’Ouest n’était pas très élevée, et elle touchait encore moins la jeunesse, les temps sont durs on dirait.

Ensuite, Nick répondit alors à la jeune victime, même si la victime dans l’histoire semblait bien être le voleur qui se tenait à présent bien tranquille, grimaçant toutefois à la douleur de sa plaie qu’il ne fallait pas tarder à soigner quand ils seront au quartier général.

« Mais c’est naturel voyons, même si je n’ai pas eu à faire grand-chose... Merci de votre coopération, vous avez permis d’éviter le pire et je tiens à saluer votre sang froid. » dit-il un large sourire affiché au visage, car effectivement, il était assez content de savoir que cette affaire était terminée sans bavure, ni accident grave. Non seulement ça lui permettrai de retourner plus vite se balader en centre-ville, mais surtout parce qu’il n’aimait pas faire trainer les choses surtout quand cela concerne la sécurité de citoyens.

Malheureusement pour la jeune femme qui s’éloignait progressivement, elle ne pouvait pas encore s’en retourner à ses occupations car il restait un petit détail à régler. De même, ce qu’elle lui dit ensuite le troubla, non seulement que quelqu’un pouvait lui ressembler, mais surtout l’attention qu’elle devait porter à son semblable pour dire une telle chose. Et puis, Nick était tout simplement du genre curieux. Enfin le devoir d’abord comme on dit, ce qui le poussa à préciser par la suite, légèrement gêné d’insister.

« Cependant mademoiselle, désolé de piétiner sur votre emploi du temps, mais j’aimerais que vous me suiviez également au quartier général, ce n’est pas très loin, et c’est juste pour entendre votre déposition à propos de cette affaire. Rien de bien grave je vous rassure, les formalités d’usage pour la paperasse vous savez, ce genre de chose.» continua-t-il penchant légèrement la tête sur le côté tout en haussant les épaules.

Ceci dit, il s’approcha de la jeune femme, le prisonnier marchant à ses côtés qui cherchait à tout prix à éviter de croiser le regard de celle-ci semblait-il. Elle devait l’avoir traumatisé le pauvre, mais il aura au moins appris deux choses, qu’il ne faut pas sous-estimer les jeunes demoiselles, et qu’il y a bien pire que de se faire prendre la main dans le sac. Le général entama donc la marche vers le quartier général, attendant que la jeune femme le suive. Puis finalement, il ajouta afin de détendre l’atmosphère.

« A qui suis-je sensé ressembler au fait ? Ma foi, cela pique ma curiosité, rien ne nous empêche de discuter un peu sur la route, pas vrai, mademoiselleee euh ... ?» demanda-t-il joyeusement en regardant successivement la jeune femme, attendant qu'elle se présente, puis le voleur qui la fuyait encore du regard et ne fit que la moue en guise de réponse.

En entendant enfin la voix du jeune soldat, Emily sursauta légèrement. Ce n’était pas le froid qui annonçait l’hiver, ni la pluie qui commençait à se préparer : non rien de tout cela ne venait gêner leur discussion. Alors pourquoi ce sursaut inattendue. Elle réfléchit quelques secondes pour en arriver à la conclusion suivante : en plus de lui ressemblait il avait une voix similaire à la sienne. Enfin c’était plutôt le timbre de sa voix qui s’approchait de celui de son ami. Ami ? Était-ce vraiment le mot approprié ? Après tout, elle ne lui avait jamais parlé, pas même lorsqu’elle en aurait eu l’occasion.

Elle sourit un peu plus quand le jeune gradé la félicita de sa capacité de maîtrise de ses sentiments. S’il savait qu’elle avait agi avec impulsivité que penserait-il ? Surement pas la même chose supposa-t-elle. Il valait mieux qu’il ne sache jamais rien de cette histoire et surtout de son passé. Il était militaire et elle une criminelle. Bon, c’était un accident mais elle n’avait aucune preuve pour prouver les agissements de son mari... A part ses cicatrices mais hors de question de les montrer à un homme ! Et puis, elle avait pris la fuite et cela pouvait être considéré comme une preuve de sa culpabilité.

« Merci monsieur... Mais je n’ai agi que pour sauver ma vie. J’ai quelque chose à vérifier avant de... »

Emily préférait laisser sa phrase en suspend. Si elle ajoutait le « de mourir » elle passerait pour une suicidaire ou quelque chose de ce genre... Elle allait pour se retourner et reprendre sa route mais il en avait décidé autrement. Il voulait qu’elle l’accompagne pour signer des papiers administratifs et évidemment qu’elle décrive ce qu’elle venait de vivre. Ne pouvait-il pas le faire lui-même ? Il avait bien vu la scène non ? Elle soupira intérieurement. C’était ridicule de lui faire perdre du temps plus que nécessaire. En perdant peu à peu son sourire, elle jeta un regard noir au voyou qui l’avait agressé. C’était de sa faute tout ça !

« Je vois... Eh bien je vous suis. »

Elle n’avait pas le choix et ce n’était plus à son goût d’obéir. Trop accepter les demandes de sa famille et de son mari lui avait donné une rage nouvelle. Les ordres n’étaient plus pour elle et si la situation n’impliquait pas un militaire, elle serait surement partie. Impossible qu’elle accepte de nouveau de céder aux exigences des hommes alors qu’ils vous marchent dessus dès qu’ils le peuvent ! Enfin, elle essayait de ne pas mettre toutes les personnes de sexe masculin dans le même sac. Le soldat blond qui se trouvait à ses côtés en ce moment ne semblait pas comme eux... Tout comme LUI.

La jeune femme sursauta de nouveau en s’apercevant que sa question LE concernait directement. Elle savait qu’elle aurait dû se taire et partir sans rien ajouter... Enfin remarque il lui aurait surement demandé de venir pour signer les papiers tout de même. Elle rougit en détournant le regard de son visage. La couleur doré de ses cheveux, ses yeux d’un bleu azur, son sourire, la cigarette qu’il coinçait entre ses lèvres – qui, soit dit en passant, paraissaient très douces... Tous les petits détails qu’elle avait préféré oublier pour éviter de souffrir lui revinrent à l’esprit. Sa gêne ne faisait qu’accentuer quand elle murmura sans s’en rendre compte SON prénom :

« Il s’appelle... Jean. »

Elle se reprit rapidement avant d’en dire plus. Imaginez une seule seconde qu’ils se connaissent ? Jean n’était pas censé savoir qu’elle était en vie. Du fait qu’il était ami avec le plus jeune de ses ainés, il avait peut-être été mis au courant de la mort de la benjamine de la famille. Emily prenait assurément des risques à vouloir absolument le revoir. Et s’il racontait tout à Elliott, le plus jeune de ses ainés ? Elle aurait de graves ennuis... Et pas du même ordre que ceux d’aujourd’hui. Le meurtre survenu il y a quatre ans n’était pourtant que de la légitime défense !  

Cependant, IL s’était engagé dans l’armée quelques temps avant le départ de la demoiselle pour l’Ouest... Peut-être que ce militaire inconnu savait où le trouver ? Il fallait qu’elle sache comment il allait... Au risque de perdre sa liberté à jamais. Jean valait bien quelques sacrifices ! En continuant de réfléchir pour prendre la meilleure décision, elle sourit de nouveau timidement en reportant son regard vers lui. Il fallait se présenter en bonne et due forme à présent. Ses bonnes manières avaient disparu visiblement... Un dernier regard vers le voyou pour lui redonner du courage et, elle prononça le plus clairement possible pour ne pas avoir besoin de se répéter.

« Je m’appelle Emily Richards et comme vous le savez, je suis la libraire du coin. D’ailleurs je ne me souviens pas vous y avoir vu ! » Finissait-elle en riant légèrement.

Une fois devant l’immense bâtisse qui servait de QG aux militaires de l’Ouest, la librairie estima que son temps de réflexion était suffisant. Elle avait décidé de lui parler de Jean malgré les risques qu’elle prenait.

« En fait, la personne dont je parlais s’appelle Jean Havoc. A ce que je sais, il s’est engagé dans l’armée de l’Est il y a quelques années... Je n’ai plus vraiment de contact avec lui depuis quatre ans mais je dois vous avouer que ça me ferait plaisir de savoir comment il va. Peut-être que vous le connaissez monsieur... ? » Souriait-elle, amusée d’utiliser le même stratagème que lui pour obtenir des informations supplémentaires sur lui.

Le voyou qui se faisait plus discret depuis tout à l’heure fit rapidement pris en charge par un médecin mais cela ne captiva pas vraiment l'attention de la jeune femme. Elle avait plus intéressant sous les yeux ! Il était peut-être sa chance pour LE retrouver enfin... Après quatre ans d’attente, elle se disait qu’elle le méritait amplement. Seule la réponse du jeune homme pourrait lui démontrer que le destin était avec ou contre elle...

La jeune femme ne présenta aucun refus à l’accompagner pour les formalités, du moins en apparence, car il était difficile de savoir à ce qu’elle pensait mais il ne serait pas impossible que ça ne l’enchante guère. C’est vrai que ce genre de chose était terriblement ennuyeux, et il s’en excusait intérieurement, mais c’est le genre de simple petit papier qui peut faire la différence si le voleur tenait à porter plainte pour sa blessure notamment, il faut toujours prendre les avances sur les problèmes potentiels. Sur la route, elle répondit timidement à sa première question. Il semblait donc que la personne à qui il ressemblait était un certain Jean. Ce prénom n’évoqua absolument rien chez le général de Brigade, qui en connaissait une flopée, d’ailleurs, il y en avait déjà deux dans les nouvelles recrues cette année. Mais il dut s’en contenter et ne pas insister, car c’était évident : cette question semblait l’avoir troublée, et elle en parlait difficilement. Elle hésita encore, et alors que Nick voulu s’en arrêter là pour éviter de la gêner, elle continua sur sa lancée, comme prise d’un second souffle, et se présenta alors sous le nom d’Emily Richards, libraire à temps plein dans le quartier. Ce nom ne lui évoquait rien de particulier, aucune affaire la concernant et c’était bien comme ça. C’était même ironique car justement, peut être que durant cet après-midi de libre, il aurait pu s’aventurer dans ce quartier, et visiter cette librairie pour rencontrer cette jeune femme dans d’autres circonstances… A cette simple pensée, il esquissa un léger sourire : les choses ne vont jamais comme on le souhaite.

Elle continua sa réponse, et elle évoqua finalement un certain Jean Havoc, un soldat engagé à l’Est selon ses dires. Havoc… Havoc… ce nom ne lui était pas inconnu … Mais là, il allait devoir creuser dans sa mémoire, beaucoup de soldats avaient croisé la route de Nick durant sa carrière militaire, que ce soit à sa formation, la longue guerre d’Ishval, et les années qui suivirent. Il allait déjà devoir écarter Ishval, car la majorité des soldats qu’il y rencontra sont morts. D’ailleurs cette pensée désagréable se traduisit facilement sur son visage, qui prit alors un air triste, la bouche légèrement entre-ouverte, il espérait pour elle qu’il ne faisait pas partie des victimes… Reprenant un air plus naturel, il continua à chercher dans ses souvenirs. Havoc… non c’était bien après la guerre… Ce n’était pas dans l’Ouest… Lors d’un voyage certainement… mais où donc … Puis d’un éclair, il réalisa sa dernière question de la jeune femme, et ne prit pas longtemps pour sortir de ses pensées afin de lui répondre.

« Oh bien sûr, où avais-je la tête, effectivement je n’ai même pas eu la décence de me présenter le premier, je suis le Général de brigade Nick Falcon, enchanté mademoiselle Richards. Pour votre ami, j’ai bien peur de ne pas savoir de qui il s’agit ma foi…» dit-il d’un air attristé, mais il ne pouvait pas en rester là, Emily semblait abattue.

Ainsi, il retomba rapidement dans ses pensées pour les fouiller, il fallait trouver le moindre détail. Ce genre de chose l’agaçait, il détestait ne pas réussir à revenir sur un nom… il fallait un visage… une idée de sa compagnie, de son affectation… Central, c’était sûr, il devait l’avoir vu à Central. Il y a un petit moment, Nick a été dans la capitale… Qui était présent à ce moment-là ?… Différentes personnalités défilaient dans son esprit. Les généraux… les colonels… Tiens, oui il y avait le bien Colonel Mustang, assez connu d’ailleurs… La cour… la cafétaria… les couloirs des bureaux…. Non non… C’était autre part… Devant les bâtiments ? De la fumée, une odeur désagréable… Puis de nouveau traversé par un éclair de clairvoyance, il frappa son poing dans sa main, et continua d’une voix tonique.

« Ah ! Oui je m’en souviens ! C’était à Central, j’ai dû m’y rendre il y a 6 mois de cela. Un soldat sous le commandement du Colonel Mustang qui se nomme Havoc, un homme blond aux yeux bleus, assez grand, il fumait même, il discutait avec son supérieur quand je suis passé. Est-ce lui ? L'odeur de sa cigarette m'a vraiment marqué, je ne suis pas un adepte du tabac... » demanda-t-il finalement, fier d’avoir pu remettre un visage au nom. Il attendait donc de voir si il avait effectivement décrit approximativement la bonne personne.

La route fut réellement courte jusqu’au quartier général, surtout par le fait qu'il a du réfléchir en marchant sur la personne que recherchait Emily. A présent, quelques soldats patrouillaient et pouvaient très bien s’occuper du criminel, d’ailleurs, celui-ci fut rapidement confié au médecin de garde, puis il sera interrogé une fois que son état soit entièrement sans danger. Concernant la déposition de la jeune femme, Nick l'invita à le suivre dans son bureau afin de l'entendre, même si d'ordinaire il l'aurait délaissé à un agent, autant bien faire les choses soi-même, surtout qu'il pourrait donner plus d'informations concernant ce certain Jean Havoc dont il venait à peine de se souvenir. Il proposa à la jeune femme de s'assoir afin de l'entendre, il sortit un formulaire adapté et lui présenta, tout en demandant en même temps.

« Cependant, puis-je me permettre de vous demander pourquoi vous voulez le retrouver ? C’est difficile de donner ce genre d’informations à des civils. »

Au vu de la moue qu’il tira à l’évocation de son nom, cela ne présageait rien de bon. Apparemment, soit il ne s’en souvenait plus, soit il avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer. Ou alors il ne le connaissait pas... Ce qu’elle redoutait aller vraiment se passer ? Cet idiot était mort ?! Elle ne pouvait pas y croire, pas après avoir attendu près de deux ans pour le retrouver... Ce qu’il annonçait par la suite n’était pas des plus rassurant. Il ne voyait pas de qui il s’agissait. C’est vrai que dans l’ensemble, Jean était plutôt ordinaire. Enfin, évidemment, aux yeux d’Emily, il ne l’était pas.

Emily afficha alors une mine totalement désespérée sans le vouloir. Les larmes lui montèrent aux yeux sans qu’elle ne puisse les contrôler rien qu’à l’idée de ne plus jamais le revoir. Il était assurément la personne la plus importante pour elle... Elle n’avait donc même pas pu lui dire adieu ? Ses sentiments pour lui resteraient un secret pour l’éternité ? Elle allait insister mais préféra ensuite se raviser. Il ne fallait pas le brusquer. Il pouvait toujours lui être utile. Pas qu’elle souhaite se servir de lui mais un homme de son grade était mieux dans votre camp que contre vous.

Elle savait qu’en tant que Général de Brigade, il devait être très occupé mais pour rien au monde elle ne voulait être prise en charge par une autre personne que lui. Elle avait besoin d’entendre de sa bouche que son ami était décédé à la guerre... Alors qu’elle cherchait à trouver un nom, une adresse ou un numéro de téléphone au fin fond de sa mémoire pour pouvoir téléphoner aux parents de Jean, elle ne trouva rien... Elle ne se souvenait même plus du nom de ses voisins. Enfin, ils devaient surement s’appeler Havoc eux aussi mais dans le doute, elle ne préférait pas appeler n’importe qui.

Et puis, comment aborder le sujet de la mort de leur fils ? S’il était vraiment décédé, elle ne ferait que raviver la peine. Par contre, s’il était en vie, ils allaient surement la prendre pour une folle... Ou s’inquiéter pour lui plus que nécessaire. Non c’était trop risqué. Surtout que si les parents de Jean en parler à ses propres parents, ils l’obligeraient surement à revenir dans l’Est, et ça, c’était hors de question. Plutôt mourir que de vivre de nouveau avec eux... Sous leurs ordres. Elle était une femme plus ou moins libre aujourd’hui et elle comptait bien le rester.

Puis le militaire qui répondait au doux nom de « Nick Falcon » semblait se souvenir de quelque chose. Dans son souvenir, Havoc était un homme plutôt grand, blond aux yeux bleus et il fumait. Après avoir entendu cela, Emily ravala bien vite ses larmes. Ce ne pouvait pas être une coïncidence ! La description du Général de Brigade correspondait exactement à l’homme qu’elle aimait. Il n’avait donc pas arrêté de fumer depuis le temps ? Peu importe, c’est ce qui renforçait son charme. Enfin, ce n’était que l’avis de la libraire. Sachant ce qu’elle ressentait, elle lui aurait surement donné le bon Dieu sans confession...

« Alors comme ça il continue à fumer ? Je pensais pourtant que mon frère lui avait dit que c’était mauvais pour sa santé... Il ne doit écouter que son cœur pour ces choses-là je suppose... »

Elle sourit en se remémorant ce souvenir de son adolescence puis son visage retrouva sa neutralité. Seuls ses yeux gardaient cette lueur de joie. La jeune femme nota le nom du supérieur de son ami dans un coin de son esprit. Ce renseignement pouvait toujours être utile. Elle serait peut-être amenée à le rencontrer un jour, qui sait ? Bon et bien maintenant, il ne lui restait plus qu’à remplir le fichu formulaire qu’il lui présentait pour enfin LE retrouver. Central ce n’était pas si loin... Du moins, elle l’espérait. En remplissant les cases d’usage comme son nom, son prénom, etc. elle sursauta. Ce militaire avait le don des questions gênantes.

« Pourquoi je souhaite le revoir ? Eh bien... cette question est encore plus gênante que la précédente... Mais je vais vous le dire. Je suis amoureuse de lui depuis un peu plus de sept ans. J’espère que ça vous suffira comme explication. En dehors de mes sentiments à son égard, il se trouve que c’était un ami de mon frère... Je voudrais juste savoir comment il va. »

Elle n’avait pas relevé les yeux de la feuille de papier de peur qu’il ne découvre l’étendue de son amour. C’était déjà très difficile pour elle de parler de Jean en ces termes... Après tout, il ne devait pas être au courant de l’amour d’Emily. Ah moins qu’Elliott, le grand frère de la blonde, lui en ait parlé ? Non, il n’aurait pas fait ça. Il avait l’habitude de garder les secrets de sa sœur et inversement. Une fois le document administratif remplit, elle le remit sur le bureau. Elle avait essayé de noter au mieux en omettant quelques détails.

Dans la case « état civil », elle avait longtemps hésité entre « veuve » et « célibataire ». Elle appartenait à la première catégorie mais l’inscrire sur la feuille du militaire ne rendrait les choses que plus compliquées. S’il lui posait des questions à ce sujet, elle ne saurait quoi dire. Ce serait d’ailleurs beaucoup plus gênant que les questions sur Jean. Elle releva les yeux pour dévisager son interlocuteur et s’assurer qu’il avait bien saisi la situation. Puis, son regard visita le bureau du Général de Brigade. La décoration n’était pas aussi personnalisée qu’elle l’aurait cru. Il n’avait peut-être pas le droit d’afficher sa vie ?

« Assez parlé de moi ! Vous êtes marié Monsieur Falcon ? Où dois-je vous appeler Général de Brigade ? »

Elle regarda rapidement les mains du militaire puis reporta son attention sur le visage de ce dernier. En fait, plus elle le regardait, plus elle lui trouvait des différences avec Jean. A part ses yeux bleus et sa couleur de cheveux, il n’avait pas vraiment grand-chose à voir avec son ami. La jeune femme sourit, rassurée. Elle savait maintenant où le trouver, le nom de son chef mais surtout qu’il était en  vie et ça, ça n’avait pas de prix.

Il ne fallu pas longtemps à Emily pour répondre, en effet, elle semblait profondément joyeuse à la simple mention du soldat Jean Havoc, et surtout à sa description physique qui avait l'air de la satisfaire pleinement, apparemment il ne s'était pas trompé, et cela le rassura d'avoir pu remettre un visage sur ce nom, surtout afin d'aider cette jeune femme. Cependant, rien ne garantissait que le jeune homme en question soit encore à Central, cela faisait tout de même 6 mois... D'un autre côté, les services de l'armée ne s'amusent pas à changer les affectations toutes les années, et il y avait de fortes chances qu'il y soit encore. Dans tous les cas, il avait pu au moins se rappeler, et lui dire le nom de son supérieur qui était déjà bien connu dans Amestris, et même dans l'Ouest. Le Flame Alchemist n'était pas quelqu'un qui pouvait passer inaperçu, savoir où il est ne devrait pas poser de problèmes à qui que ce soit...

Tandis qu'elle remplissait le formulaire de la déposition, la question que le général de brigade avait posé précédemment sur ses raisons d'obtenir ces informations l'avait quelque peu décontenancée. Il esquissa alors un léger sourire tout en relevant légèrement le visage : il préféra ne plus trop persévérer même si en plus de ses habitudes du métier, il était d'un naturel curieux et se passionnait à vouloir connaître les gens qu'il pouvait croiser. Enfin, faut-il le préciser, ce n'était pas vraiment compliqué à comprendre de toute manière, au vu de ses réactions, de sa joie, de son regard fuyant lorsque l'on parle de lui, et surtout parce qu'elle le dit elle-même contre toute attente : la jeune femme était tout simplement amoureuse, il était donc normal qu'elle se renseigne sur son bien aimé après tout, quand bien même il serait un simple ami. Mais bon, cela ne le regardait pas, il se satisfaisait de sa réponse et n'insista pas, de toute manière il préférait ne pas trop s’immiscer dans les histoires à l'eau de rose, cela peut se retourner contre nous. Il acquiesça donc, en ajoutant à l'aide d'un sourire aimable.

« Oui bien-sûr, désolé, je vous prie de m'excuser pour cette question déplacée et pour mon indélicatesse. » Ce qui instaura un petit instant de silence, tandis qu'elle remplissait la fiche. Il remarqua même qu'elle hésita au niveau de l'état civil, peut être que ses histoires de cœur sont plus compliquées qu'il ne le pensait finalement. Mais il ne releva pas et se mit à regarder les alentours, qui contenait sa vie de tous les jours.

Le bureau semblait bien trop calme en fait, toutes les places autour de lui étaient vides... D'ordinaire, l'ensemble de la brigade était là et travaillait à l'unisson, mais aujourd'hui ils étaient tous sur le terrain, pour terminer une longue affaire de contrebande. Tous, hormis lui, qui n'avait pas dormi les deux précédentes nuits afin d'organiser au mieux l'arrestation des criminels, et le commandant Tchendev, qui avait quitté le travail en même temps que lui tout à l'heure, qui l'avait aidé. De toute manière, elle avait pris congé aujourd'hui pour rendre visite à sa famille et se serait bien fâchée de constater qu'il travaillait encore. En fait, Nick ne se souciait pas vraiment de la réussite de cette opération car il pouvait compter sur ses différents éléments qu'il considérait maintenant comme des membres de sa famille, et c'était réciproque : rien de mieux pour souder une compagnie de soldats. Le fait est que le bureau semble immense lorsque l'on est que deux. A cette pensée, Nick porta son regard sur la cafetière encore chaude qui gisait dans le coin de la pièce, mais se pinça rapidement les lèvres, de peur d'en proposer à Emily, car celui-ci était tout simplement infecte. Il valait mieux pour elle ne ne pas y goûter, surtout quand c'était le sous-lieutenant Lorenz qui l'avait fait, car si elle n'avait pas son pareil dans certains domaines, faire un bon café lui était tout bonnement impossible même après tout ce temps... Personne n'est parfait dira-t-on. Puis la question tout à fait surprenant d'Emily le ramena à la réalité, qui le fit écarquiller les yeux, elle semblait ne pas vouloir quitter le sujet de la romance, à ses risques et périls, il ne pouvait pas garantir de ne pas laisser s'échapper d'autres questions.

« Ah ah. Non, je ne suis pas marié. Du moins pas encore. Même si j'ai une femme dans ma vie, je ne pense pas que nous soyons prêts tous les deux à passer le pas. Ça implique beaucoup de choses pour un soldat de se marier... » répondit-il en ricanant, en effet, il n'attendait pas ce moment avec une réelle impatience, bien que comme tout homme, il aspirait à connaître le bonheur de fonder un foyer, cette optique n'était pas encore d'actualité, il avait beaucoup à faire... Puis il reprit, pour préciser sa réponse.

« Vous pouvez m'appeler Nick, enfin, comme ça vous arrange je ne suis pas très friand des titres de par mes origines modestes. Puis-je en faire autant avec vous ? Vous voulez boire quelque chose en attendant ? Même si je n'ai pas grand chose à disposition, je vous conseille ce jus de pomme qui vient de chez moi, enfin de la ferme des mes parents, ah ah, c'est un délice. » dit-il avec un air faussement fier, tout en se dirigeant vers le coin de la salle, où il écarta discrètement le café, pour laisser place à une bouteille de jus de pomme. Il constata également que le temps avait bien mal tourné, et les premières gouttes commencèrent à tomber, se fracassant contre la grande fenêtre de la pièce, l'averse qui s'annonçait semblait assez abondante.

Avait-il vraiment osé dire que ça impliqué beaucoup pour un soldat de se marier ? Etait-il stupide ? Le mariage ce n’était jamais simple pour personne... Pas simplement pour les soldats. Et d’ailleurs pourquoi ça serait plus difficile pour un soldat qu’un civil ? Un engagement d’une telle importance touchait profondément toute personne qui s’y risquait. Elle eut limite envie de lui balancer son pot à crayons après cette réplique mais préféra ravaler sa colère. Il valait mieux ne pas avoir d’ennuie avec un représentant de l’ordre, quel qu’il soit. Ses doigts se crispèrent sur le tissu de sa robe mais elle ne releva pas.

Peut-être que ce n’était pas ce qu’il voulait dire... Peut-être qu’elle avait mal interprété ses dires... C’était surement le cas, enfin du moins elle l’espérait. Elle commençait à l’apprécier et ça serait dommage que cela change pour une phrase mal comprise. Et puis comment pouvait-il se doute que ses mots allaient la toucher aussi intimement ? Il n’était pas au courant de son mariage raté, du self-control dont elle avait dû faire preuve pour ne pas tuer son mari dés le premier jour... Tout ça il ne le savait pas... Et il ne le saurait surement jamais. Elle ne se voyait pas raconter son secret à un "inconnu".

Elle le suivait du regard, méfiante. Il n’avait aucun intérêt à lui faire du mal mais tout de même. La jeune femme avait appris à ne plus faire confiance aux hommes aussi facilement. On ne pouvait pas lui reprocher... Même si elle exagérait souvent ses craintes. En vérité, elle savait que tous les hommes n’étaient pas de mauvaises personnes. Elle en avait eu la preuve avec le père de Roxane, un certain Azriel. Elle le savait apprécié des villageois et cela s’était confirmé à son enterrement. Un triste événement qui avait réuni de nombreux habitués. Certains pleuraient même c’est pour vous dire...

Elle préféra penser à autre chose avant de se mettre à verser quelques larmes incontrôlables. "Tu dois toujours rester neutre devant des inconnus. Ne jamais montrer tes émotions !" Voilà ce que le savoir de sa mère lui avait appris. Ses parents étaient loin d’avoir écrit l’Evangile mais Emily s’était toujours efforcée de rester digne. Elle voulait être bien vu de tous, redoutant beaucoup trop les remarques. Et pourtant, elle se savait vulnérable, à fleur de peau. Est-ce qu’une personne "normale" aurait poignardée son agresseur dans la rue ? N’était-elle pas censée avoir peur ? Peu importe, il était trop tard pour se poser la question.

Elle le laissa terminer puis repris en affichant un sourire timide.

« Bien sûr, appelez-moi Emily. Et c’est avec plaisir que je goûterai les fruits du verger de vos parents... Mais pourrions-nous remettre cela à plus tard ? Je dois retourner à ma boutique. Il se pourrait que certains clients m’en veuillent de cette absence. »

Il n’avait surement pas remarqué le changement de comportement de la jeune librairie. Elle ne fuyait pas la discussion, elle souhaitait juste l’écourter pour le moment. Ses pensées étaient toutes tournées en direction de Central et de son bien aimé. Elle partirait au plus tôt et dès qu’elle aurait trouvé une solution pour Roxane. Emily n’était aussi cruelle que cela, elle ne laisserait pas l’adolescente se débrouiller ! Elle avait même tendance à trop couver cette demoiselle qui ne souhaitait qu’être libre. En souvenir de son ami, elle s’occuperait d’elle comme elle lui avait promis... Mais elle ne détruirait pas sa vie pour autant !

« Je vous remercie du fond du cœur pour toutes vos précieuses informations... »

Elle fouilla dans son sac pour en sortir un petit morceau de carton aux couleurs de l’automne. Il s’agissait de sa carte de visite. Il savait surement où se trouver la libraire du quartier mais comme toute bonne commerçante, elle se devait de lui rappeler le nom de son enseigne. Il n’était peut-être pas un passionné de lecture mais parmi ses connaissances... On ne sait jamais ! Elle déposa délicatement le bout de carton sur son bureau puis elle se redressa. Il demeurait une rencontre agréable et elle souhaitait le revoir. Evidemment, elle voulait que cela se passe dans d’autres circonstances, en public par exemple.

« Je vous donne ma carte. Vous souhaitiez peut-être me revoir... pour obtenir plus d’informations à mon sujet. J’habite à l’étage de la boutique, vous savez donc où me trouver, Nick. Passez une bonne fin de journée ! »

Puis elle se leva pour partir, un large sourire aux lèvres. Elle savait évidemment que ses dernières phrases pouvaient être pris pour de la drague. C’était fait exprès pour attiser la curiosité des personnes qu’elle appréciait... Bon bien sûr, elle ne draguait pas les femmes ni les hommes qui ne comprendraient pas son petit jeu.  Elle espérait que Nick allait jouer le jeu... Mais surtout qu’il ne se ferait pas de fausses idées sur elle.  A jouer trop souvent avec le feu, on se brûle les ailes... Celles d’Emily devaient être partiellement carbonisées après avoir déjoué les lois de Dieu... Après avoir pris la vie d’un de ces semblables...

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