Décidément, s’il y avait des suites, il ne ferait aucun doute que leur relation allait faire des étincelles, et ce, dans le sens néfaste du terme. La jeune femme avait beau s’évertuer à reconnaître le talent que présentait cet homme pour la confection d’armes toutes plus loufoques les unes que les autres, elle ne pouvait s’empêcher de le considérer également comme un bavard impotent et invétéré. Et, étrangement, c’était son défaut qui ressortait davantage, au détriment de la fascination folle de Jack pour la violence. Il était dit qu’on appréciait les autres pour leurs qualités, mais qu’on les aimait pour leurs défauts. A ce moment-là, Aisya eut une irrésistible envie de retrouver l’inventeur de cette morale afin de le coller aussitôt au fond d’une chaise électrique. Et elle n’était pas au bout de ses surprises.

Dans un premier temps, il se défendit de changer la couleur affreuse dont il avait jugé bon d’affubler sa machine de guerre, sous le prétexte bidon que le rouge était symbole de supériorité. De son côté, Aisya était tellement arrivée à un paroxysme de blasement, qu’elle ne rétorqua rien, se contentant de le dévisager avec un faciès qui voulait tout dire de son état d’esprit du moment. Ça n’était pas fini : à présent, il était question d’aller jeter un coup d’œil à ses autres trouvailles. Ce n’était pas pour déplaire à l’alchimiste, dont il avait tout de même attisé un tant soit peu la curiosité. Et le résultat ne se fit pas attendre. En bon professeur malsain qu’il était, Jack empoigna tour à tour deux étranges canons qui n’avaient pas l’air très maniable. Aisya était une femme certes, l’Armée lui conservait tout de même le privilège d’user d’armes égales à celles des hommes. La Red Corporation lui avait conféré un tout nouveau prototype de revolver bien plus lourd que la moyenne et qu’elle maniait à présent sans problème. Toutefois, elle ne saisissait toujours pas l’utilité de ces engins. Non pas qu’elle douta de leur férocité, pour elle, quelques frappes dans ses mains ou claquement de doigts et les chars d’assaut ennemis volaient en éclat. Elle ne se référait pas spécialement à son alchimie qui était surtout utile sur les engins électriques ou les êtres humains, mais aussi à celle de son rival préféré qu’était le colonel Roy Mustang. A Ishbal, elle avait eu l’occasion de le voir à l’œuvre, discrètement, du haut de son jeune âge. Elle avait alors ressenti une haine ingénue et grandissante pour ce jeune homme, à peine plus âgé qu’elle, et qui jouait déjà le « beau rôle ». Pour certains, les alchimistes étaient alors apparus comme de viles et cruelles bêtes de foire, mais, pour les aspirant dans son genre, ils étaient les symboles, les modèles à suivre par la suite. Dans le dos du Flame Alchemist, elle avait nourri une insatiable envie de le surpasser. N’ignorant pas les rumeurs qui couraient au sujet du « colonel cheval » comme elle s’amusait à l’appeler, concernant son envie d’accéder au trône du généralissime, elle s’était également mis en tête ce souhait si inatteignable. Toutefois, elle ne possédait pas un aussi grand succès que lui auprès des civils et encore moins, auprès de la gente féminine que masculine.

Pour en revenir au génocide, Aisya fut tirée de ses pensées lorsque le mécanicien fit lui-même allusion au terrible conflit, auquel il avait apparemment participé officieusement. La facilité avec laquelle il décrivait la terreur des civils ishbals à la découverte de ses terribles automails révulsa l’alchimiste. Elle-même n’était pas des mieux placés pour prôner la tolérance et la pitié, toutefois, elle faisait attention à ne pas étaler aux yeux de tous ses expériences malsaines sur le terrain. Pour la plupart des soldats, Ishbal avaient été pour eux, certes un enfer, mais aussi une toute autre dimension. Une dimension parallèle à ce monde. Comme si tout ce qu’ils avaient pu y faire était un épisode à l’écart de leur existence. Cela pouvait paraître bien lâche et simpliste comme raisonnement, il n’en était pas moins pratique pour continuer à vivre. En fait, on ne pouvait pas tolérer, que l’on soit dérangée comme le colonel ou non, d’entendre un récit si enjoué du massacre d’Ishbal. Les traits de son visage se tordirent par son sévère froncement de sourcils et ses mâchoires se crispèrent à mesure qu’elle serrait les dents pour s’empêcher de lui réduire les entrailles en cendres. Puis, comme si Jack avait deviné sa colère et qu’il s’en moquait bien, il retourna à son établi et en sortit la facture qui n’était pas des moindre. Toutefois, la jeune femme n’eut qu’un haussement de sourcil à la vue de l’importante note de frais. Ça, ça n’était pas son affaire. Sans un mot, elle la fit glisser jusqu’à elle et s’empara de la feuille de papier qu’elle plia contentieusement de ses doigts peints. Elle aurait pu à cet instant tourner les talons et s’en aller. Elle aurait pu mettre fin à cette entrevue qui manquait de la faire exploser à chaque instant. Mais elle s’abstint de tout départ. Pendant quelques minutes qui auraient pu paraître interminables à ceux qui en avaient à faire, elle fixa le bâtisseur d’automails. Finalement, elle descella ses lèvres et demanda, d’un timbre de voix qui voulait contenir sa rage :

-« Dites-moi, monsieur Armuk, loin d’ignorer ce que fut l’enfer d’Ishbal, auriez-vous l’obligeance de me raconter ce que vous y faisiez ? Avez-vous une idée de la raison qui motiva l’armée à vous y envoyer ? Beaucoup de choses nous ont été révélées, à nous autres, alchimistes, cependant, je ne me souviens guère d’avoir entendu parler de quelconque aide civile … »